Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/244

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ces mots : vois quelle étendue de terre Memnon couvre de son corps. Le moment choisi pouvait être précisément celui où l’armée se prépare à re- lever de terre le corps du héros pour le déposer sur la couche funèbre, Dans cette supposition, les mots « ils exposent » doivent s’entendre de toute la cérémonie, même des apprêts antérieurs à l’exposition du cadavre : ainsi nous dirions de personnes réunies pour des funérailles : elles rendent les derniers devoirs au mort, elles l’ensevelissent. Peut-être aussi ne faut-il pas trop presser le texte de Philostrate ; si le lit de parade n’était pas très élevé, on conçoit qu’il ait pu dire, sans être trop inexact, que Memnon couvrait une vaste étendue de terre.

On s’est demandé comment l’Aurore pouvait obscurcir le Soleil et prier la Nuit d’étendre ses voiles avant le temps sur l’armée. Welcker pense que l’artiste avait exprimé la tristesse du Soleil et l’approche de la Nuit par l’af- faiblissement de la lumière, par un choix de couleurs appropriées. L’’illustre archéologue a recours à cette supposition, parce que, dit-il, dans l’art grec on ne rencontre pas le Soleil voilé par un autre dieu. Il convient de remarquer d’ailleurs que le Soleil, du moins sous la forme d’un dieu, ne devait pas être représenté dans le tableau. Philostrate ne donne l’épithète d’aériennes qu’à des figures de déesses (1).-Si la Nuit se portait au devant de l’Aurore, et si l’Aurore tendait les bras vers elle, comme pour l’implorer, il semble que Philostrate ait pu dire, sans être infidèle à l’esprit du tableau, que la mère de Memnon demandait à la Nuit de hâter son retour.

La dernière partie de la description de Philostrate a été l’objet d’une mé- prise singulière, On a cru que le Soleil était représenté une seconde fois, éclairant et animant de ses rayons la statue de Memnon (2). Mennon appa- raît dans le lointain ; est-ce sous la forme d’un cadavre enlevé par l’Aurore ou bien est-il déjà changé en statue ? La métamorphose a eu lieu sans doute ; cependant Philostrate le laisse deviner plutôt qu’il ne l’affirme. En tout cas, quand il ajoute : « la tombe de Memnon n’est nulle part ; Memnon lui- même est en Éthiopie, changé en une pierre noire », il ne parle plus du ta- bleau, mais bien de cette statue colossale de Memnon. On en trouverait au besoin la preuve dans cette phrase : « son attitude est celle d’une personne assise ; ses traits sont, j’émagine, ceux que tu lui vois dans le tableau. » S’il s’agissait d’une comparaison entre le cadavre qui est au premier plan, et la statue qui est sur le dernier, Philostrate n’eût pas parlé de cette ressem- blance comme probable ; il l’eùt simplement remarquée et constatée. Le soleil, dont il raconte ensuite la mystérieuse influence sur la statue, n’est donc point une image du soleil, que l’œil püt distinguer dans le tableau ; l’auteur parle du soleil lui-même, au moment où il se levait sur T’Éthiopie ; ilne décrit plus ; il ajoute un simple renseignement à sa description.


(1) AL de peréopor Bafpoves. {2} Friederichs, Die Phil. Bilder., p. 9 ? et 93.

CRÉRRRE ds. 5 EE re