Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/251

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ses deux pattes, celui-là sèche ses ailes, cet autre les nettoie, cet autre tient je ne sais quelle proie saisie dans l’eau, cet autre se penche vers le sol comme pour y chercher sa nourriture. Si nous voyons des cygnes montés par des Amours, n’en soyons point surpris ; car ce sont des dieux insolents qui dans leurs jeux ne respectent guère les oiseaux. Ne passons donc point sans donner un regard à cette course des amours, et à la partie de l’étang qui sert d’hippodrome ; nulle part l’eau n’est plus belle, car elle sort de la terre à l’endroit même, et trouve à remplir un bassin admirable. Au milieu de ce bassin les amarantes penchent de côté et d’autre leurs gracieux épis qui effleurent l’eau ; c’est autour de cette barrière que les Amours font courir les oiseaux sacrés, au frein d’or, celui-ci abandonnant les rênes, cet autre les serrant, cet autre les tirant de côté, cet autre tournant autour de la borne ; et il me semble les entendre qui exhortent les cygnes, qui se menacent les uns les autres, qui s’injurient, car tout cela se lit sur leurs visages. L’un démonte son voisin, l’autre l’a déjà démonté ; à cet autre il a plu de se jeter à bas de son coursier ailé pour se baigner dans le bassin. En cercle sur le rivage se tiennent les plus habiles chanteurs d’entre les cygnes ; ils entonnent, j’imagine, le nome orthien, comme il convient pour de pareilles luttes. Ce jeune homme ailé que tu vois est là pour montrer que les oiseaux chantent, c’est le Zéphyre, ce dieu qui donne le chant aux cygnes. Le peintre l’a représenté délicat et charmant, par allusion au souffle léger du Zéphyre, et c’est pour être frappés par ce souffle, que les cygnes déploient leurs ailes. Vois encore ce fleuve sortir du marais ; il est large, il enfle légèrement ses eaux ; des chevriers, des pasteurs le passent sur un pont. Ne félicite pas le peintre de nous avoir représenté des chèvres bondissantes et capricieuses, d’avoir donné aux brebis une démarche paresseuse, comme si leur laine était un pesant fardeau ; laissons les syrinx et ceux qui en jouent ; ne louons pas la façon dont ces derniers pressent le roseau de leurs lèvres fermées, ce serait estimer la partie la plus humble de la peinture, celle qui relève de l’imitation, et ce ne serait pas rendre justice à la profonde raison du peintre, à son sentiment de la convenance, c’est-à-dire à ce qu’il y a de meilleur dans l’art. Où donc est cette profonde raison ? L’artiste a jeté sur le fleuve un palmier pour servir de pont, et c’est une idée fort ingénieuse ; connaissant en effet ce que l’on dit des palmiers, à savoir qu’il y a parmi eux mâles et femelles ; renseigné sur leurs amours, sur la façon dont le mâle se dirige vers la femelle, l’enveloppe de ses branches et se presse contre elle, il a peint deux palmiers de l’un et l’autre sexe, un sur chaque rivage ; le mâle se baisse