Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/256

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ce rapport étroit entre le paysage des anciens et la scène principale, c’est là une théorie sujette à contestation. La peinture où Hésione est exposée à un monstre marin, n’offre point l’image d’une contrée sauvage, hérissée de montagnes chauves et couverte d’arbres dépouillés (4). D’un côté, il est vrai, s’élève un rocher nu, sans autre ornement qu’un petit temple (et c’est là déjà un ornement), comme il convient de représenter un rivage ; mais à droite, on aperçoit sur une éminence, un arbre, qui quoique battu des vents, a conservé ses branches et ses feuilles. Un enfant dévoré par un cro- codile n’est point une scène aimable ; c’est pourtant le sujet d’un paysage de Pompéi (2) où sur deux langues de terre s’avançant dans les flots comme à la rencontre l’une de l’autre, des temples érigent leur gracieuse colonnade, des bosquets ou des arbres isolés étalent un épais feuillage. D’ailleurs le paysage, décrit par Philostrate, est-il donc d’un aspect si triste et si sévère ? Des ruisseaux courant sur les flancs des montagnes, sillonnant la plaine par de nombreux méandres, des roseaux à la tige élégante, des tamaris au feuillage finement découpé, des rives bordées d’ache, des plantes effleurant l’eau de leurs épis qui retombent, deux palmiers, l’un droit, l’autre couché sur un ruisseau, qui enfle légèrement ses eaux, tout cela ne ressemble guère à une contrée sauvage et désolée, Mais, dit-on, cette forêt, formée de pins, de sapins et de cyprès, devait étendre au dernier plan, comme un sombre rideau de verdure, plus fait pour éveiller les idées tristes que pour servir de fond à des scènes aimables. Rien de moins juste : les arbres verts ne sau- raient attrister un paysage que lorsqu’ils sont seuls ; unis à d’autres plantes d’une verdure plus tendre, ils leurs prêtent plus de gràce qu’ils ne leur en Ôtent. Enfin, ce serait être injuste envers le cyprès que de le réserver uniquement pour des scènes de deuil ; dans certaines contrées, c’est un très bel arbre, aux formes robustes, aux jets imprévus, au feuillage tantôt serré, tantôt lâche, un arbre d’ornement, s’il en fut (3). Rien n’empêche de nous représenter ainsi les cyprès dont nous parle Philostrate.

Le rhéteur admire beaucoup le peintre pour avoir montré les amours de deux palmiers séparés par un fleuve. Cette idée ingénieuse n’appartient- elle pas plutôt à Philostrate qu’au peintre ? Un palmier servant de pont sur une rivière, c’est là un de ces accidents qui diversifient agréablement et par eux-mêmes un paysage ; pour le représenter, le peintre n’a point besoin d’autre motif ; signification symbolique, allusion à quelque loi mys- térieuse de la nature, tout doit céder, en peinture, au plaisir des yeux, à l’intèret pittoresque ; il n’est point cependant défendu à l’art, son principal but une fois atteint, d’en rechercher un autre, et de parler à l’esprit, après avoir charmé le regard ; aussi ne saurions-nous contester à Philostrate

(1) Antig. d’Herculamwum, V, pl. CGCXUL ; Roux aîné, II, 5° série, pl. I. (2) Pompeiana, 1°* p., pl. LIX ; Roux aîné, 5 série, pl. XXVI. 43) Voir la description du cyprès oriental, dans Théoph. Gautier, Constantinople, p. 158.