Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/263

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

changera leurs larmes en pierres, il les recevra une fois tombées, et sur ses eaux limpides les transportera jusqu’à la mer. Ainsi s’en iront chez les barbares qui habitent les côtes de l’Océan ces paillettes provenant des peupliers.



COMMENTAIRE.

Les personnages énumérés par Philostrate prennent aisément place dans la composition ; le ciel, semé d’étoiles, est occupé d’un côté par les Heures, qui disparaissent dans les ténèbres, de l’autre par la Nuit ; la Terre a près d’elle les sœurs de Phaéthon, les Héliades, à demi transformées en peupliers ; l’Eridan est représenté par le dieu lui-même et par un fleuve sur lequel nagent des cygnes. Les deux parties de la composition sont reliées par le corps de Phaéthon, précipité sur la terre du milieu d’un tourbillon de flammes et de fumée, et par le char et les chevaux, échappés à la main inexpérimentée du jeune homme.

Selon un savant archéologue, Wieseler, notre tableau aurait été beaucoup plus riche en personnages[1]. À côté de l’Eridan, placé à gauche, on aurait distingué l’Océan, avec ses représentants, c’est-à-dire avec les habitants des îles barbares, sur les côtes desquelles on recueille l’ambre. Des eaux du fleuve s’élevaient dans les airs une ou plusieurs figures de femmes, personnifiant les haleines du vent, les aurae. On voyait aussi l’Heure de midi fuyant devant les ténèbres. Enfin de jeunes enfants portant une étoile sur le front, représentaient les astres. En revanche Wieseler supprime la Nuit.

Nous croyons que le savant archéologue a été trompé par les bas-reliefs d’époque romaine, où les personnages s’accumulent de manière à produire la confusion. Philostrate dit que les parcelles d’ambre qui tombent des peupliers dans l’Eridan, sont portées par le fleuve jusque dans la mer, et par la mer jusque dans les îles de l’Océan ; ces paroles peuvent-elles nous autoriser à croire que l’Océan était représenté dans le tableau[2] ? Nous voyons bien que Wieseler[3] reconnaît, sur une pierre gravée[4], au lieu de l’Eridan, comme le voulait Lippert, la personnification de l’Océan, et au lieu de la Terre, une Océanide ; mais ses raisons, uniquement tirées de l’attitude des personnages, ne paraissent pas concluantes. Lorsque l’auteur grec parle des vents et des gelées qu’envoie l’Eridan, et qui changèrent en pierres les larmes des Héliades, il est également difficile de s’imaginer d’après ces mots que l’artiste eût donné aux vents une forme humaine ; Wieseler n’assigne pas

  1. Phaeth, eine archäologische Abhandlung von Fr. Wieseler, Götting., 1857, p. 21 et suiv.
  2. Phaeth., p. 28.
  3. Phaeth., p. 39.
  4. Pierre gravée de la collect. grand ducale, Lippert, Dakt., II, 1. 268 ; Wieseler, Phaeth., no 7, p. 39.