Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/271

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est élevé ; une légende qui s’y rattache nous est rappelée par allégorie. Une belle jeune fille et un bel adolescent, élèves du même maître, se sont épris d’un amour mutuel, et ne pouvant se jeter en sécurité dans les bras l’un de l’autre, ils ont résolu de mourir ; du haut de ce rocher ils se sont précipités dans la mer, étroitement enlacés pour la première et la dernière fois. Eros, sur le rocher, étend la main vers la mer ; voilà comment le peintre nous fait souvenir de la Fable. — Dans la maison voisine habite une veuve que les jeunes gens, par leurs importunités, ont forcée de quitter la ville ; ils prétendaient l’enlever et, dans cette espérance, ils se réunissaient sans cesse pour des promenades nocturnes et la tentaient par des présents. Celle-ci, par une adroite coquetterie, pique au jeu les jeunes gens et se retire furtivement en ce pays, où elle habite un château fortifié. Vois comme la place est bien défendue : la falaise qui domine la mer se retire et se creuse près du flot ; à sa partie supérieure elle s’avance et suspend sur la mer la maison qu’elle supporte ; si bien que l’eau, vue par dessous cet escarpement, paraît d’un bleu plus sombre, et que la terre, au mouvement près, ressemble de tous points à un navire. Pour être venue dans cette forteresse, elle n’a point découragé ses poursuivants. Ils se sont jetés, celui-ci dans une barque à la proue d’azur, celui-là dans une autre à la proue d’or ; leur flottille étale mille couleurs ; comme de joyeux convives, les voilà parés et couronnés : l’un joue de la flûte, l’autre bat des mains, un troisième chante, je crois ; ils jettent leurs couronnes, ils envoient des baisers ; d’ailleurs tout mouvement des rames est suspendu ; ils relâchent au pied du précipice. De sa maison comme d’un observatoire la jeune femme contemple cette scène, et rit de cet appareil de fête, toute fière d’avoir forcé ses poursuivants non seulement à s’embarquer, mais encore à nager pour aborder. Plus loin tu rencontreras des troupeaux de brebis, tu entendras les bœufs mugir, la syrinx retentira partout à tes oreilles ; voici des chasseurs et des laboureurs, des fleuves, des étangs, des sources, tout est dans cette peinture, ce qui est, ce qui a été, on y voit même comment certaines choses doivent se passer dans l’avenir, et la multitude des objets ne nuit en rien à l’exactitude de la représentation ; tout est aussi achevé que si l’artiste n’eût eu qu’un seul objet à peindre. Nous arrivons ainsi à Hiéron. Là tu aperçois, je pense, un temple entouré de colonnes, et à l’entrée du détroit, le fanal élevé qui sert de guide aux navigateurs venant du Pont. — Mais n’as-tu point une autre scène à nous expliquer ? Le Bosphore nous à retenus assez longtemps. — Ne t’impatiente pas, je n’ai pas tout dit : restent les pêcheurs dont j’avais promis