Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/272

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tout d’abord de parler. Pour négliger les détails et ne nous attacher qu’aux choses qui en valent la peine, laissons de côté les pêcheurs à la ligne, ceux qui se servent de la nasse insidieuse, ceux qui retirent le filet ou harponnent avec la fourche à trois dents ; je n’aurais que peu de chose à en dire ; il ne sont là, comme tu le penseras avec moi, que pour jeter de l’agrément dans le tableau. Mais considérons ceux qui prennent des thons : c’est une pêche assez importante pour mériter d’être décrite. Les thons nés dans le Pont-Euxin où ils se nourrissent en partie de poissons, en partie du limon et autres matières fangeuses qu’y charrie l’Ister et le Palus Mæotis et qui en rendent les eaux plus douces et plus potables que celles de toute autre mer ; les thons, dis-je, passent dans la mer extérieure, semblables à une phalange de soldats. Ils nagent par colonnes de huit, de seize, de trente-deux, superposés les uns aux autres, et s’étendant en profondeur autant qu’en largeur. On les prend de mille manières différentes ; un fer à la pointe acérée, un appât jeté à la surface de l’eau, un léger filet, ces moyens suffisent à qui se contente d’une petite partie de la bande, mais voici le procédé le meilleur : un homme prompt à compter et doué d’une excellente vue se tient en observation à l’extrémité d’une perche ; il faut qu’il ait les yeux fixés sur la mer et qu’il étende ses regards le plus loin possible. Voit-il les thons entrer dans ses eaux, il a besoin d’une voix puissante pour avertir les pêcheurs qui se tiennent dans leurs barques ; il dit de combien de milliers se compose la troupe et ceux-ci, barrant le passage aux thons, et les enveloppant avec un filet qui descend très bas, font une pêche brillante capable d’enrichir le patron de l’escadrille. Regarde maintenant la peinture, tu y verras tous ces détails. L’homme en observation fixe les yeux sur la mer pour se rendre compte du nombre ; dans l’éclat verdâtre des eaux, on distingue les poissons à la couleur ; les plus près de la surface paraissent noirs ; ceux qui suivent le sont moins ; le troisième rang en profondeur se dérobe à la vue ; puis ce n’est qu’une ombre ; puis ils se confondent avec l’eau ; puis il faut les deviner, le regard s’affaiblissant et perdant de sa netteté à mesure qu’il descend plus bas sous les flots. Le peuple des pêcheurs, au teint hâlé par le soleil, fait plaisir à voir. L’un attache son aviron ; l’autre montre en ramant un bras tout gonflé par l’effort ; celui-ci encourage son voisin ; celui-là frappe un rameur paresseux. Un cri s’est élevé parmi les pêcheurs, au moment où les poissons se jettent dans le filet ; de ceux-ci les uns sont pris, les autres se laissent prendre. Ne sachant que faire d’une si grande multitude les pêcheurs entr’ouvrent le