Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/308

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crite par Philostrate ne présente pas la mème symétrie, le même contraste dans les mouvements et les attitudes. Est-ce là une faute qu'il faille, avec un commentateur (1), reprocher à l'artiste. Y a-t-il, au point de vue de l'esthé- tique ou de la vraisemblance, un inconvénient à laisser libres les jambes de Penthée ? Nous ne le eroyons pas: dans un dessin célèbre de Raphaël (2), la Calomnie traîne par les cheveux l'/nnocence qui élève les mains jointes vers le ciel ; supposons que les deux bras soient tenus par deux personnages pla- cés de chaque côté, et nous aurons la même siluation que dans le tableau de Philostrate, Quelle résistance d'ailleurs peut opposer Penthée, ainsi traîné àterre, et n'ayant plus l'usage des bras; moins grande sans doute que l'/nnocence de Raphaël, qui a conservé l’usage des jambes et des bras? Sans doute, si l'/nnocence ne se défend pas, c'est qu’elle est l'nnocence, et qu’elle compte, à {ort peut-être, sur elle-même etla protection du ciel; mais Pen- thée, plus fortement maintenu que l'Znnocence, est encore affaibli par la peur, et réduit à l'impuissance par la colère d’un dieu.

Dionysos ne paraît point sur les bas-reliefs que nous avons mentionnés. Sa présence doit-elle nous étonner, dans le tableau de Philostrate ? Non, sans doute, Euripide suppose que, lorsque Penthée fut assis au sommet du pin, l'étranger, c'est-à-dire Dionysos, se déroba à la vue, et qu’une voix, sans doute celle du dieu, cria d'en haut : « Jeunes femmes, je vous envoie celui qui vous méprise, vous, moi et mes orgies : vengez-vous de lui (3). » Dans Euripide, le dieu se révèle en disparaissant : les paroles meurtrières qu'il prononce ont plus d'effet que n’en pourrait avoir sa présence ; d’ailleurs il est là, quoique invisible, pour aïguillonner la fureur des bacchantes et jouir de sa vengeance. Ne pouvant faire parler Dionysos, l'art le met en scène : quoi de plus naturel et de plus légitime ? D'ailleurs, si Dionysos est absent des bas-reliefs antiques qui représentent la mort de Penthée, il pa- raît, avec tout son cortège, sur un bas-relief dont le sujet est le châtiment de Lycurgue (4).

Au pied de la montagne, les parents de Penthée recueillent ses membres dispersés : la tèle du malheureux roi est gisant à terre : Agavé a du sang sur les mains, sur la figure, sur la poitrine. N'est-ce point là un spectacle hideux, peu conforme aux habitudes de l'art antique? Remarquons d'abord qu'en fait d'art un détail gracieux atténue singulièrement l'horreur des au- tres ; séparée du tronc, ensanglantée, la tête de Penthée n’est cependant point méconnaissable ; si elle n'avait plus l’éclat du teint, les chairs avaient conservé du moins cette fermeté qui convient à Ja jeunesse ; les cheveux


(1) Matz, De Philustrat. fide, p. 109. (2) Dessin du Louvre, gravé par Alph. Leroy (chalcogr. du Louvre), (8) Eur. Bacch., 1018.

(4) Müller-Wiesclor, Denk. d. a. Kunst,I, pl.XXXVIT, n° 141.