Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/307

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qu’on peut le soupçonner de sacrifier quelquefois à ce goût de lettré l’exac- titude de l’observation. Mais le peintre, lui aussi, connaissait sans doute Eu- ripide ; il l’avait relu, vu peut-être à la scène, avant de composer son ta- bleau : quoi d’étonnant dès lors qu’il ait cherché à reproduire par le pinceau les prodiges chantés par Euripide ? Vainement on objecle (4) que les so- phistes se complaisaient dans les descriptions ; vainement on rappelle avec Lucien celui d’entre eux qui, écrivant une histoire, montrait à ses lecteurs ou auditeurs le chef ennemi fuyant dans une grotte ombragée par le lierre, la myrrhe, le laurier qui s’entrelacaient et formaient un ravissant berceau (2). De tels ornements dans le récit d’une guerre peuvent être déplacés ; ils sont au contraire à leur place dans un tableau qui représente les mystères de Dionysos sur le Cithéron. Mais, dit-on, de tels prodiges se racontent ; ils ne peuvent se montrer aux yeux. C’est là, croyons-nous, une erreur, une vaine subtilité qui n’aurait point embarrassé les Grecs ; pour eux, non seulement tout ce qui est visible, mais tout ce qui peut être imaginé, peut aussi être représenté. D’ailleurs, dans le tableau qui nous occupe, un ruisseau de lait n’est pas plus difficile à peindre qu’un filet d’eau vive ; que le vin coule d’une fente de rocher au lieu de s’échapper d’un rhyton, comme il arrive tant de fois dans les peintures d’Herculanum et de Pompéi, ce n’est pas là une différence qui puisse gêner le pinceau ou choquer les yeux. Des thyrses dont l’écorce s’entr’ouvre et laisse tomber sur le sol les gouttelettes dorées d’un miel liquide, cela est aisé à représenter, et n’est point d’une invraisem- blance ou d’une laideur à déplaire aux plus délicats.

Penthée renversé à terre est déchiré par les Ménades : ses tantes le tirent chacune par un bras et sa mère le traîne par les cheveux. Dans trois bas- reliefs en marbre qui représentent le même sujet, la disposition n’est pas la même que dans notre tableau et varie avec chacun d’eux, Sur l’un (3), une bacchante, appuyant un pied sur l’oreille de Penthée assis, lui arrache le bras gauche ; une seconde, un genou en terre, tire sur le pied droit de l’infortuné ; une troisième, placée entre les deux premières, lui assène sur la tête un coup de hoyau. Un bas-relief de la galerie Giustiniani (4) nous montre Penthée éga- lement assis ; deux bacchantes l’ontsaisi aux cheveux ; deux autres de chaque côté s’efforcent de lui arracher, l’une le bras droit, l’autre le bras gauche. Un marbre de Turin groupe les personnages à peu près de la même façon ; ce- pendant, des deux Ménades placées derrière Penthée, l’une, au lieu de le prendre par les cheveux, se prépare à le frapper avec une branche d’arbre, Ces trois compositions semblent reproduire, avec de légères différences, un exemplaire unique, sans doute l’œuvre d’un grand maître. La peinture dé-



(1) Mat. De Philostrat. fide, p. 10 ct 11. (2) Lucien, Comment it faut écrire Phistoire, ch. xix.

(3) Sarcophage conservé au Campo Santo de Pise, Welcker le décrit d’après le peintre Lund son ami.

() Gal. Giusliniani, M, 10i, Müller-Wieseler, Denkmäler der alten Kunst, WU, XXXNIT, n°457