Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/312

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navire paraisse couronné par la vigne et le lierre, que les grappes se balancent au-dessus de lui, c’est là une merveille, mais rien n’est plus merveilleux que la source de vin qui jaillit de la cavité du navire et pour ainsi dire de la sentine. Mais retournons aux Tyrrhéniens pendant qu’ils sont encore eux-mêmes : car Dionysos, après avoir égaré leur raison, leur fait revêtir une forme étrange ; les voilà dauphins, mais dauphins peu familiers encore avec la mer ; l’un a les flancs azurés ; la poitrine de l’autre devient gluante ; une nageoire croît sur le dos de celui-ci ; celui-là étale une queue récente ; ici la tête manque au corps, là le corps à la tête ; l’un n’a plus que des mains sans consistance ; l’autre se lamente, sentant ses pieds s’évanouir. À la proue Dionysos rit de l’aventure et encourage les Tyrrhéniens qui d’hommes pervers se transforment ainsi en animaux secourables. Dans peu de temps en effet Palémon parcourra les mers monté sur un dauphin, et cela sans être éveillé, mais étendu sur le dos de l’animal qui bercera son sommeil ; et voici qu’Arion de Ténare nous prouve que les dauphins sont amis de l’homme, qu’ils se plaisent aux chants et qu’ils sont capables de prendre parti contre les pirates pour les hommes et la musique.



Commentaire.


La fable qui fait le sujet de notre tableau a été racontée diversement par les poètes. Dans l’hymne homérique en l’honneur de Dionysos, des pirates tyrrhéniens surprennent le dieu sur le rivage de la mer ; ils l’entraînent dans leur navire, mais à peine ont-ils mis à la voile que des flots de vin arrosent le navire, qu’une odeur délicieuse se répand dans les airs, que la vigne et le lierre serpentent autour du mât, tapissent la voile, que le dieu métamorphosé en lion s’élance sur le chef des pirates et que les Tyrrhéniens éperdus se précipitent dans les flots où ils sont changés en dauphins. Seul le pilote qui avait dissuadé ses compagnons de saisir le dieu, non par repentir de son métier, mais parce qu’il avait reconnu Dionysos à l’éclat de sa beauté, fut soustrait au sort commun, et devint heureux, dit Homère. Ovide désigne le lieu de la scène, c’est l’ile de Naxos[1]. Non seulement le dieu se laisse prendre, mais il simule la douleur. Comme les pirates sont insensibles à ses larmes, le navire s’arrête immobile ; le lierre embarrasse les rames, monte le long des mâts, s’étend sur les voiles. Bacchus, entouré de tigres, de lynx et de panthères, brandit un thyrse orné de pampres. On le voit, le Dionysos d’Ovide est tout à la fois plus raffiné et plus digne dans sa vengeance que le Dionysos homérique ; en effet il se moque de ses ennemis réduits à l’impuissance,

  1. Ovide, Métam., v. 597 et suiv.