Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/313

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et conserve jusqu’au bout la forme humaine. D’après Hygin (1), qui raconte Ï la tradition de Naxos, les pirates s’étaient engagés à conduire le dieu dans È cette île près de ses nourrices ; séduits par l’amour du butin, ils méditaient de changer de route ; Dionysos devine leur dessein, ordonne à ses compa- gnons de chanter, de faire résonner leurs cymbales et leurs tambours, de h jouer de la flûte ; le délire, non l’effroi, s’empare alors des Tyrrhéniens qui se précipitent dans la mer. Telle est aussi à peu près la version d’Apollo- dore (2). Dans ces différents récits la métamorphose a lieu en pleine mer ; { on rapportait aussi sans doute que les Tyrrhéniens avaient reçu leur châti- ment avant de s’embarquer ; car la frise du monument choragique de Lysi- crate (3) nous montre les pirates poursuivis par les Satyres qui assomment les uns, traînent les autres sur le rivage jusqu’au bord des flots, forcent les autres à se jeter à la mer en les menaçant de leurs torches enflammées (4).

Notre peintre s’écarte à la fois et des récits poétiques et des représenta- tions figurées que nous connaissons. La scène se passe en pleine mer, comme dans Homère, comme dans Ovide et dans Hygin ; mais Dionysosn’est point sur le même navire que les pirates ; le dieu parcourt les mers avec son cortège ; les Tyrrhéniens, armés en guerre, s’élancent à sa rencontre pour l’assaillir et le piller : ingénieux prétexte pour offrir aux yeux deux navires de forme différente, et surtout pour donner à Dionysos une embarcation étrange simulant une panthère par sa proue et toute garnie de cymbales. Quant au Dionysos du peintre, il ressemble assez à celui que nous montre Ovide ; entouré parles bacchantes qui se livrent à leurs transports, prenant part lui-même à la célébration de son culte, il laisse à une panthère le soin d’effrayer les pirates, et par la raillerie met le comble à sa vengeance. Mais quoi ! Dionysos peut-il à la fois célébrer les mystères et rire de ses ennemis ? n’est-ce pas là jouer deux rôles incompatibles, l’un sérieux et digne, l’autre presque au-dessous de la majesté divine ! L’objection a été faile ; nous ne la croyons pas fondée. Qu’on se représente Dionysos au milieu des Ménades, dans telle attitude que l’on voudra, assis peut-être, une coupe en main, un thyrse dans l’autre, comme sur tel vase célèbre (3) ; ne peut-on pas supposer qu’il laissait errer sur ses lèvres un sourire ironique justifiant l’interpréta- tion de Philostrate ! Sur le monument de Lysicrate, le dieu assis caresse un lion et semble se soucier fort peu des pirates ; qu’on admire ce calme, ce




(1) Fabul., 134.

(2) Apollodore, I, 53.

G) Stuart, Antig. d’Ath.. 1, ch. 1v, pl. TL. Müller-Wieseler, D. d. a. K., 1, pl. XXXVIL.

{) Sur une plaque d’or donnée par la Gazette archéolugique 1875, pl. I, « le dieu qui va combattre les Tyrrhéniens est représenté presque enfant, tenant lui-même les torches et s’a- vançant vers les flots de la mer. » Dans l’esprit de l’artiste, la tentative d’enlèvement avait eu lieu sans doute sur le rivage : il avait seulement choisi le moment où les Tyrrhéniens cher- chaient déjà un refuge dans les flots contre la colère du dieu qui les poursuivait.

(5) Dubois-Maisonn, /ntr. à l’étude des vases ant. pl. XXI, Müller-Wiescler, D. d. a. Ke, Il n° 585.

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