Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/324

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encore des traits qui leur conviennent : des formes sèches, de longues oreilles, des hanches évidées, une queue de cheval ; ajoutez-y l’ardeur d’un sang impétueux, un air de fierté et d’insolence. Le prisonnier de Midas n’est point représenté autrement ; appesanti par le vin, il a cette respiration pénible qui est propre à l’ivresse, il boirait plus aisément toutes les eaux de la source qu’un autre ne ferait une coupe ; les nymphes bravant le satyre endormi forment une chaîne autour de lui. Admire la mollesse et l’indolence de Midas ; il a grand soin de sa mitre, des boucles de sa chevelure ; il porte le thyrse et une robe brodée d’or. Vois aussi ses longues oreilles ; c’est elles qu’il faut accuser de la somnolence qui paraît envahir ses yeux si doux, de la langueur qui éteint l’aimable vivacité du regard. Le peintre veut nous rappeler que l’aventure a été divulguée, et que les roseaux ont parlé, la terre n’ayant pu garder le secret qui lui était confié.



Commentaire.


Les satyres, comme divinités de l’eau et des jardins, avaient le don de prophétie, mais les prophètes, dans l’antiquité[1], ne consentaient à parler que si on usait de surprise et de violence avec eux. Le roi Midas, qui, selon certaines traditions, avait apporté la culture de la vigne en Phrygie[2], imagina de mêler du vin à la source où s’abreuvait le satyre, cet amant des nymphes. Enivré par cette nouvelle liqueur, et, à son réveil, pressé de questions par le roi, le satyre blâma d’abord la curiosité fatale de Midas et prononça ensuite l’oracle fameux : « le premier bien pour l’homme, c’est de ne pas naître ; le second, c’est de mourir le plus tôt possible[3]. » Cette réponse, qui paraissait d’une sagesse trop profonde pour être émanée d’un homme, fut accueillie, admirée et commentée par les philosophes de l’antiquité : la légende prêtait moins à la peinture, qui ne saurait rendre une leçon de morale. C’est peut-être pour ce motif que le peintre de notre tableau, au lieu de se borner à nous montrer comme certains vases qui représentent le même sujet, un satyre endormi et un roi phrygien, avait peint les nymphes bravant pendant son sommeil le satyre qui les effrayait naguère par sa pétulance agressive. Il semble que ce chœur de nymphes, ainsi introduit dans la composition pour l’animer, eût dû charmer les yeux plus que les autres personnages, et que Philostrate aurait dû les décrire au moins aussi longuement que le satyre ou Midas. Selon Brunn, le peintre, afin de concentrer presque toute l’attention du spectateur sur le sujet principal, n’aurait em-

  1. Preller, G. M. I, 604.
  2. Id., ibid., I, p. 532.
  3. Aristote cité par Plutarque, Consolation à Apollonius, 27.