Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/339

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reléguer le génie au dernier plan, peut-être sur une hauteur, d’où il domi- nait la scène. Rien de plus ingénieux d’ailleurs que de lui avoir fait un lit de grappes et de pampres ; le ruisseau de vin étail ainsi expliqué aux yeux et à la raison ; l’esprit, qui est souvent en peinture une cause d’obscurité, ne saurait être trop loué quand il rend, comme ici, le sujet plus clair (1). Le fleuve avait le visage empourpré, comme il convenait à celui qui épanche des flots vermeils. On sait que les anciens barbouillaient de cinabre la statue de Dionysos, et que les artistes ont quelquefois choisi le marbre rouge comme pour dispenser ses adorateurs d’avoir recours à ce fard bachique. Le long du fleuve et sur les deux rives, les adorateurs de Dionysos dansaient ou dormaient. Philostrate prète l’oreille à leurs chants, croit les entendre balbutier par suite de l’ivresse ; illusion d’un spectateur enthousiaste, effusion lyrique en laquelle se complait le rhéteur, d’ailleurs hommage sincère rendu au talent de l’artiste qui avait su, sans doute, donner à ces personnages tous les caractères de la vie et de l’i e bachique, Dionysos lui-même arrivait sur son navire à l’embouchure du fleuve, et s’apprêtait sans doute à débarquer. Il était précédé par les Tritons, ces éternels compa- gnons de tout dieu qui navigue, de Dionysos comme de Poseidon. Étaient- ils attirés par le vin, comme on pourrait le croire (2) ? ils étaient là plutôt pour ouvrir la marche, pour faire corlège au dieu ; ils faisaient partie du thiase. Nous devons nous les représenter sous leur forme habituelle, moitié hommes, moitié poissons. Les uns soufflent dans une conque ; les autres dansent. Comment dansent les Tritons ? sans doute ils formaient un chœur, et se soulevaient, en souriant, hors des flots ; une altitude, une expression semblable ont pu seules révéler à Philostrate que ces êtres, à demi plongés dans l’eau, se livraient à une espèce de danse. Était-ce en sonfflant dans leurs conques, ou par la bouche, à la manière des dauphins, que les Tritons rejetaient l’eau qu’ils avaient puisée ? La question a été faite et résolue diver- sement (3) ; nous croyons qu’ils se servaient de leurs conques : l’image devait être ainsi plus élégante et plus gracieuse.

Quant au Rire et à Cômos, ce sont des personnages du thiase ; sans doute, ils avaient, comme sur les vases, l’aspect de Satyres ou de Faunes, et non les



(1) Feuerbach (Kunstgesch. Abhandlung, p. 38) a cru connaître la personnification d’un fleuve de vin dans une statue du Louvre qui est généralement regardée comme un Dionysos. Il est certain que le dieu ou le génie est couché dans l’attitude d’un fleuve, et qu’à part deux Statues analogues, prêtant par suite aux mêmes incertitudes d’interprétation, on ne rencontre guère dans l’art antique de Dionysos couché. Le personnage, quel qu’il soit, a la tête couronnée de lierre et de pampre et s’appuie sur un cep de vigne en torsade, presque semblable à une corne d’abondance, Un enfant sur lequel il pose la main semble vouloir grimper le long de sa poitrine. Pour Feuerbach, c’est un cubitus ; pour les autres interprètes un génie bachique, Malheureusement pour l’explication de Feuerbach, le diou repose sur une peau de panthère, dont les griffes sont parfaitement visibles ; un tel attribut ne paraît convenir qu’à Dionysos.

(2) C’était l’o de Welcker.

(8) Voir sur le rapport des monstres marins avec Dionysos Jahn. Bericht zur kôn sach. Gess. 1854, p. 190.