Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/348

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Le char d’Amphiaraos était traîné par deux chevaux, parce que, dit Phi- lostrate, les héros de cette époque n’’attelaient pas encore quatre chevaux ensemble. Nous avons déjà rencontré cette raison, et nous en avons contesté la valeur. Les artistes de l’antiquité ne paraissent pas avoir connu ces scru- pules d’archéologues ; les monuments donnent tantôt, deux tantôt quatre chevaux au char d’Amphiaraos (4). Mème diversité chez les poètes ! Anti- maque et Stace sont d’accord avec notre peintre (2) ; Sophocle, Euripide, Properce, placent le devin sur un quadrige (3). Le nombre des chevaux n’est point embarrassant pour les poètes ; il pouvait l’être quelquefois pour les artistes disposant d’un espace limité.

Philostrate décrit avec complaisance les chevaux d’Amphiaraos ; un détail l’a surtout frappé, c’est la poussière mêlée à la sueur ; il remarque, comme le ferait un critique moderne, que les chevaux en sont moins beaux, mais plus vrais. « Notez, dit un fin commentateur, que ce naturalisme ne se trouve ni dans le fougueux quadrige d’Orope, ni dans le pompeux quadrige du mu- sée Bourbon, ni dans les peintures murales, et à plus forte raison dans les peintures de vases où Lout est de convention. Était-il simplement dans l’ima- gination de Philostrate ? (4) » Pourquoi, dirons-nous, celte supposition ? Le fougueux quadrige d’Orope est un marbre, le pimpant quadrige du musée Bourbon est un monochrome sur marbre ; de peinture murale et de pein- ture de vase représentant le retour d’Amphiaraos, nous n’en connaissons pas ; d’ailleurs, comme le fait remarquer M. Vinet, ce sont des genres qui admettent une grande part de convention. Notre composition, au contraire, était un tableau, et sans doute un tableau qui n’était point conçu dans le genre décoratif. Le naturalisme ou le réalisme, comme on voudra l’appeler, n’était pointici déplacé. Les petits détails ont leur prix en peinture ; en pein- ture aussi, le sacrifice de la beauté à la vérité tourne souvent au profit de l’art. Dira-t-on que le réalisme n’eut jamais ni sa pelite ni sa grande place dans l’art antique ; nous ne le croyons pas, et nous avons cherché ailleurs à exposer nos raisons : nous n’en voulons donner ici qu’une seule ; quand on voit combien les artistes aiment à différer les uns des autres, est-il probable que depuis la naissance de l’art antique jusqu’à sa décadence, tous les pein- tres aient été d’accord pour repousser de leurs tableaux la représentation de la réalité, qui s’offre d’elle-même au talent, et qui est un des moyens lesplus puissants que possède la peinture pour frapper l’imagination ?

11 est d’autres points sur lesquels notre tableau diffère des monuments ana- logues ; sur le plus beau de tous, le bas-relief d’Orope (3), Baton conduit le char ; Amphiaraos porte le casque, mais tout le corps est nu ; Philostrate ne

{1) Voir Overbeck, Au. III, Die Bildwerk., n°* 6, 7, 5, VI, 6, 1, 9.

(2) Antimaque selon le scholiaste de Pindare, OL. VI, 21.

(3) Soph., op. Strab., IX, p. 499 ; Eurip., Suppl. 950 ; Prop. II, 34, 29. (4) Vinet, Revue archéologique, 1812.

(5) Overb. die Bildw., VI, 6.