Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/367

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employé quelquefois pour caractériser plus fortement la bassesse des sujets choisis par un peintre. Il serait donc à peu près à notre peinture de nature morte ce que le mot de bambochade est à notre peinture de genre.

Il y eut dans l’antiquité un peintre très renommé pour son talent à représenter « les boutiques de barbiers et de cordonniers, les ânes, les provisions de bouche[1]. » Pline prétend que pour cette raison il fut surnommé rhyparographe où peintre de choses viles. Welcker proposait de lire rhopographe. Les deux termes conviennent évidemment aux sujets favoris de Piraïcus ; l’un est un peu plus fort que l’autre, et voilà tout. On conçoit qu’un amateur, devant les tableaux de ce maître, ait prononcé le terme de rhopographie, et qu’un autre ait répondu : c’est mieux que cela ; c’est de la rhyparographie. Comme le mot se trouve dans tous les manuscrits de Pline, comme il désigne, non l’obscénité mais la bassesse des sujets, et que d’ailleurs, dans l’antiquité, les métiers et tout ce qui en dépendait étaient rangés dans les choses basses[2], il n’y a pas lieu de hasarder une correction qui rend le surnom du peintre moins plaisant. Si c’est là une erreur due à l’étourderie d’un copiste, il y a peu d’erreurs qui se défendent mieux ; elle est de celles dont on peut dire : felix culpa[3] !

À ce mot de rhopographie qu’il croyait désigner un genre, Welcker[4] opposait le mot de mégalographie qui se rencontre dans Vitruve. « Les anciens, dit l’architecte latin, se mirent ensuite à orner de paysages variés les longues galeries ; ils choisirent, pour les représenter, des lieux remarquables par quelque particularité ; en effet on peint des ports, des promontoires, des rivages, des fleuves, des montagnes, des détroits, des temples, des bois, des troupeaux, des pasteurs ; de même en quelques endroits, les anciens employèrent une mégalographie qui représentait les images des dieux ou des mythes se développant avec ordre, par exemple les combats de Troie ou les aventures d’Ulysse[5]. » Il nous semble que dans ce passage la mégalographie désigne une peinture qui représente, en plusieurs scènes, de grands événements, une peinture semblable aux peintures esquilines par opposition à la peinture des sujets isolés ou à celle de paysage, non par opposition aux tableaux de Piraïcus qui représentaient des échoppes, des étals de marchands ou des animaux. La mégalographie ne serait pas plus notre grande peinture que la rhopographie ne serait notre peinture de genre ou de nature morte.

Question de mots après tout ! car quel que soit le terme dont les anciens se sont servis pour désigner les tableaux de nature morte, il n’est pas dou-

  1. Pl, H. N. V, 35, 37.
  2. Artes sordidæ (Cic., De off., I, 42, 15 ; Sen., epp. 38, 21).
  3. Urlichs (Chrest. Plin.) a proposé rhopicographos. C’est toujours un mot plus faible et moins dédaigneux que rhyparographos.
  4. Jahn aussi, voir l’ouvr. déjà cité.
  5. Vitr., VII, 5.