Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/378

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gance. L'artiste a conservé au cheval non seulement ses quatre pattes, mais la rondeur de son poitrail ; il coupe ce poitrail suivant une ligne représentant avec exactitude la ligne souple et flexible qui chez l'homme sépare la cuisse des hanches et du ventre (1). Seulement cette ligne dans tous les monuments est fortement marquée ; aussi est-il facile de dire : là commence la nature de l'homme, là finit celle du cheval. Est-ce un défaut? oui, s’il faut en croire Lu- cien et Philostrate : nous ne saurions être de cet avis. La transition ne pour- raît être dérobée aux yeux qu’en allérant les formes des muscles ou en les coupant d’une façon arbitraire ; il faudrait alors confondre et souder deux mus- cles ensemble, un du cheval, l’autre de l’homme, ce qui ferait une partie peu distincte et lout à fait méconnaissable, sans vérité ni vraisemblance ! Quoi de plus simple, au contraire, que de suivre, en découpant les formes pour les unir, le sillon tracé par la nature? Il n’y aura pas de disparate pour cela, pas plus que sur le corps d'un seul homme ou d'un seul cheval où les attaches des membres apparaissent nettement, où les muscles sont distincts les uns des autres. Sans doute l'artiste doit imiter, surtout en cela, les beaux individus chez lesquels les passages d'un plan à un autre, quoique visibies, n'ont rien de brusque et de heurté ; il y a, en peinture, un habile mélange des clairs et des ombres qui fait sentir les méplats sans exagération et montre sans pé- dantisme la science anatomique de l'ouvrier. Étail-ce le grand talent de Zeuxis et le mérite de nolre peintre, dans le tableau qui nous occupe ? Nous serions porté à le croire : mais les termes employés par Lucien et Philos- trate ne prouvent pas, selon nous, que ces deux écrivains aient apprécié avec finesse l'art du peintre. Ils semblent avoir vu de loin et en passant; ils ont pris pour invisibles des détails qui ne frappaient pas les yeux; ils ont cru à une confusion, à une soudure complète, là où il y avait sans doute une tran- silion savamment ménagée.

Le trait le plus remarquable de notre tableau était l'expression du cen- taure. Philostrate nous parle de son regard plein de douceur et de son air charmant. Nous ne nous tromperons pas beaucoup en y joignant cet air de sérénité et de gravité que nous offre le centaure Chiron dans les monuments parvenus jusqu'à nous. Chiron était en effet, pour la Grèce antique, l'idéal du maître, comme Achille était l'idéal du disciple. Les anciens le chargèrent successivement de toutes les perfections qu'avec le cours du temps et l'expé- rience ils avaient appris à exiger des précepteurs de leurs enfants. Quand les mœurs adoucies bannirent de l'éducation la contrainte et les châtiments, l'illustre centaure ne fut pas seulement le très juste et le très savant Chiron, il fut encore le doux et le patient Chiron. Le Chiron des peintures morales et des pierres gravées à lu la philosophie de Platon; il connaît le précepte de la République. « Mais pas de violence pour les enfants dans les leçons que

(1) Un bas-relief de sarcophage (Museo Pio Clem., ?5) représentant des Amours et des Cen- taures semble faire exception.