Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/382

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Les centaures sont des hommes d’une autre espèce, et comme tels, ils ont des mœurs qui approchent de celles de l'homme en société. Ils sont plus féroces, plus insolents, plus enclins à l'ivresse que les hommes; mais en cela mème, ils montrent qu'ils participent largement de la nature humaine, ils assistent à des feslins ; ils jouent de la flûte de Pan ou de la lyre, ils pra- tiquent et enseignent l’art de la médecine ; ils enlèvent les femmes des peu- ples voisins, ou des héros, trop confiants dans leur honnêteté. L'art leur donne une place dans le thiase de Dionysos, ils sont mêlés à la légende des dieux et des demi-dieux. Sur les monuments, une peau de bête couvre souvent leurs épaules ou leurs flancs ; mais ils connaissent aussi l'usage des draperies. Chiron porte la chlamyde et quelquefois le chiton (1}. Sur une gemme du Musée de Florence (2) qui représente une centauride allaitant un petit cen- taure, c'est une draperie el non la dépouille d'une panthère qui enveloppe la mère. Pourquoi les enfants des centaures n'auraient-ils pas reposé sur des langes? L'effet dépend du goût et de la mesure apportés par l'artiste dans la représentalion : emmaillotés, les centaures seraient ridicules ; étendus sur un tissu habilement plié ou déplié, ils conserveront toute la grâce sau- vage de leurs formes étranges.

La gemme que nous venons de citer nous montre une des attitudes dé- criles par Philostrate. La mère a ses quatre jambes repliées sous elle: d'une main elle tient et présente le sein au petit centaure, de l’autre elle Louche le dos de l'enfant et le serre contre elle. Cette petite composition est trois fois précieuse: elle supplée au lableau de Zeuxis, elle nous rend pré- sente une des attitudes de notre peinture; enfin, elle est l’une des rares images d'une mère allaitant son enfant que l'antiquité nous ait laissées. Si riche que fût notre lableau en attitudes diverses, il n'offrait point cependant aux regards, comme la peinture célèbre de Zeuxis, un jeune centaure Lélant sa mère à la facon des poulains, Quelques-uns des jeunes centaures étaient pourtant blottis sous le ventre maternel; mais ils bondissaient, ils se Jivraient à leurs ébats, ils jouaient entre eux; rien de plus. Il est assez cu- rieux que parmi les œuvres d'art parvenues jusqu'à nous aucune ne rappelle à cet égardla composition de Zeuxis (3). Si l’on se souvient que l'artiste replia sa toile en se plaignant de l'attention que la foule donnait à la nouveauté du sujet, on peut penser que ce double allaitement, ces deux maternités réu- nies en un même individu étaient précisément le trait original qui, au détri- ment de qualités plus rares, avaient émerveillé les spectateurs du tableau.

Bien fréquente, au contraire, était dans l’art antique, l'attitude du centaure jetant une pierre. Chez ces êtres à demi sauvages, c'était une manière de




(1) Overb. Die Bildw, +. VIE et VI.

(2) Müller-Wieseler, D. 4. a. K., L, 203 d'après Gori dans le Museur Florentinum. La mème remarque s'applique à un camée reproduit dans les Mex. ined. do Winckelmann, pl. 80 et qui représente aussi une centauride allaitant un petit centaure,

i3) Stephani, Cempte-rendu de la commiss. arehéol. de Saint-Pétersb., année 1863, p. 197.

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