Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/381

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sent déjà, montrent je ne sais quelle rudesse de mœurs malgré leur crinière à peine naissante et leurs sabots encore tendres. Vois aussi comme les mères sont belles, même à ne considérer que leur partie chevaline ; blanche chez les unes, jaune chez les autres, ailleurs de teintes variées ; toutes brillent de cet éclat qui est propre aux cavales bien entretenues. Celle-ci, sur un corps de cheval tout noir, élève un buste d’une blancheur parfaite : ce violent contraste contribue à la beauté de l’ensemble.



Commentaire.


Le peintre Zeuxis[1] avait représenté une famille de centaures. Un genou en terre, une jambe fortement tendue comme pour se relever, les pieds de derrière étendus, une centauride allaitait deux petits, prenant l’un sur son sein de femme, se laissant téter par l’autre, comme font les poulains. Un hippocentaure, vu à mi-corps, se penchait en souriant sur ce groupe ; de la main droite il élevait un lionceau comme pour faire peur aux enfants. Le tableau décrit par Philostrate montrait non pas seulement une famille mais une troupe de centaures dispersés sur les pentes du Pélion. Welcker compte sept centaures ou centaurides avec leurs petits. Philostrate indique en effet sept attitudes différentes ; il attribue, il est vrai, chacune d’elles à des groupes d’individus, mais Welcker prétend que le rhéteur emploie ici, par un artifice de langage qui lui est familier, le pluriel pour le singulier. Nous pensons que Welcker pèche ici par excès de précision. Le peintre avait sans doute groupé diversement un grand nombre de centaures, de tout sexe et de tout âge, Philostrate décrit les attitudes dont la vérité ou la grâce l’ont frappé. A-t-il décrit toutes celles qui étaient représentées ? toutes celles qu’il décrit appartenaient-elles à des centaures placés dans des groupes différents ? C’est ce qu’il serait impossible de dire avec certitude. Plusieurs enfants, diversement posés, pouvaient appartenir à la même famille ; deux enfants de mère différente pouvaient se jouer sur le sein maternel sans être tout à fait la copie l’un de l’autre.

Toutes ces attitudes indiquées par Philostrate se laissent aisément saisir par l’imagination, sans que nous ayons besoin de recourir aux monuments ; chacun peut se représenter les petits centaures bondissant entre les jambes d’une centauride ou embrassant leur mère agenouillée. Les langes que mentionne le sophiste ont étonné un commentateur ; le linge, dit-il, n’est point à l’usage d’êtres qui vivent en troupe sur le Pélion ; Zeuxis, dans le tableau décrit par Lucien, s’était bien gardé de coucher ses centaures sur des tapis et leurs petits dans des berceaux. Cette critique est plus ingénieuse que juste,

  1. Lucien, Zeuxis, IV.