Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/404

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l’Iliade[1] ; ce qui prouve combien un certain type d’Ulysse était répandu dans l’antiquité. De même Agamemnon semblable aux dieux a d’ordinaire quelque chose de la majesté divine, caractère que le sceptre et le bandeau contribuent encore à marquer plus fortement. Ajax, fils de Télamon, a presque toujours l’air farouche et violent ; il est vrai qu’il est presque toujours représenté dans l’ardeur du combat. Toutefois nous ne croyons pas que pour chacun des héros énumérés par Philostrate, par exemple pour Ménélas, pour Diomède, pour Ajax fils d’Oilée, l’art eût adopté une expression constante, un type invariable ; les artistes anciens semblent, dans le choix de l’expression, s’être inspirés surtout de la situation dans laquelle chacun de ces héros était engagé. Philostrate, reconnaissant Agamemnon et Ulysse à des traits qui variaient peu avait supposé que les autres héros étaient peints d’après Homère, de façon à être à peu près toujours les mêmes ; il semble avoir préféré à l’exactitude de l’observation la symétrie de sa phrase et le plaisir de trop comprendre ; d’ailleurs on se demande ce que signifie l’air libre, la liberté, de Diomède[2], si ce n’est point une réminiscence de la réponse hardie que le héros fait dans l’Iliade à Agamemnon[3], et comment, si tel est le cas, le peintre avait pu donner au héros pleurant Antiloque un aspect de brusque franchise qui aidât à le reconnaître ; de même l’expression prêtée à Ajax le Locrien qui était prêt, dit le texte grec, sans doute prêt à tout oser[4], paraît trop vague pour avoir caractérisé bien nettement en peinture le personnage. C’est là un de ces passages où le rhéteur voit les tableaux à travers les souvenirs de la poésie grecque, et leur attribue, pour mieux les louer, des perfections imaginaires.



VIII

Mélès.


Les amours de l’Énipée et de Tyro ont été chantées par Homère : le poète a dit aussi la ruse de Poseidon, les eaux formant une voûte brillante au-dessus de la couche nuptiale. Le sujet de ce tableau est autre ; il ne vient pas de Thessalie mais d’Ionie. L’Ionienne Crithéis aime le Mélès ; celui-ci a les traits d’un jeune homme ; il se laisse voir tout entier au spectateur, ayant son embouchure et sa source au même endroit. Crithéis boit sans avoir soif, puise dans sa main l’eau du fleuve, cause avec le courant dont elle prend le murmure pour le bruit de la parole, répand des larmes amoureuses que le fleuve, lui aussi, épris d’amour, roule avec bonheur mêlées à ses propres flots. La peinture ne nous offre pas

  1. Voir par ex. Inghirami, Gal. Om., tav. 108.
  2. ἐλευθερία.
  3. Iliad., X, 82.
  4. ἀπὸ τοῦ ἑτοίμου.