Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/407

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tonjours un vieillard où un homme mûr. Une peinture de Pompéi nous repré- sente un buste d'adolescent vêtu d'une tunique verte comme des eaux pro- fondes, tenant une rame sur l'épaule, et à la main un vase qu'il approche de sa bouche ; c'est un fleuve à n'en pas douter, et peut-être le Sarnus qui arrosait les environs de Pompéi (4). Suivant Pline le Jeune, le Clitumne était représenté avec une robe prétexte (2). Ovide nous fait d'Acis un portrait tout juvénile : ses cornes mêmes, qui étaient entrelacées de roseaux, étaient à peine naissantes (3). Le Mélès, dont le cours était si peu étendu, ne pouvait être personnifié que sous les traits d'un homme à la fleur de l’âge.

Philostrate nous dit que le fleuve se montrait tout entier aux yeux du spectateur ; faut-il entendre cela du jeune homme ou du ruisseau qu'il per- sonnifiait ? Dans le premier cas, nous aurons le droit de nous étonner de l'explication de Philostrate; les artistes ne paraissent pas, en effet, avoir mesuré la partie visible du génie d'un fleuve, à l'étendue de son cours; dans la seconde supposition, c’est la phrase de Philostrate qui paraît étrange : il vient de dire que le fleuve ressemble à un éphèbe; lorsqu'il ajoute que le spectateur l'embrasse tout entier du regard, comment penser au cours d’eau et non. au Mélès personnifié ? Toutefois cette supposition nous paraît la moins invraisemblable ; le rhéteur se plaît à confondre la chose et le per- sonnage, comme pour mieux montrer que le peintre a eu le talent de les identifier.

L'attitude du Mélès n'est pas aisée à définir. Il est couché et tient sa main ouverte sous l'eau qui jaillit. Rien de plus clair. Mais que signifient ces on- gles, ces doigts qui grattent la terre ? Sont-ce les doigts de cette même main qui reçoit l'eau jaillissante? Mais comment peut-il s'acquitter de deux mou- vements, dont l'un suppose que la main a le dos tourné vers le sol, l’autre la paume ? Le fleuve employait-il les deux mains, l’une à égratigner la surface du sol, l’autre à mesurer le débit d’un mince filet d’eau? Philostrate veut-il simplement parler de deux moments successifs ? Cette supposilion nous paraît la plus acceptable. Philostrate à vu la main étendue ou entr'ouverte, mais c'est lui qui imagine que le dieu a promené ses ongles sur la terre ; un artiste n'aurait, sans doute, pas trouvé le geste ni assez gracieux ni assez clair pour être représenté. Quant à Philostrate, pour l’attribuer au fleuve, il n’a eu qu'à se souvenir d'Euripide qui nous montre les Bacchantes grattant la terre avec les doigts pour en faire jaillir des ruisseaux de lait (4).

Welcker pensait que le peintre avait représenté la voûte formée par les eaux du fleuve. L'étude du texte ne nous paraît pas favorable à cette opi- nion. Que dit, en effet, Philostrate ? Le fleuve t'aime, Je le sais, ette prépare une chambre, en soulevant ces flots, sous lesquels sera le lit nuptial. Les

(1) Helbig, Vandg., 1013.

(2) PL min., Ep., VI, 8.

(3) Ovide, Metam., 8, 561. (4) Eur., Bacch., 108.