Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/433

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veut Philostrate, eût produit un être écumant comme les vagues, et sem- blable en cela à son père, le souverain de l'élément liquide, soit encore que l'animal, utile au labour et mobile comme le flot, fût né des amours de Posei- don et de Déméter (1). Or la Thessalie nourrissait dans ses vastes plaines une forte et belle race de chevaux ; elle devait donc être redevable et de ses chevaux et de ses plaines à la générosité du même dieu.

Pour représenter cette transformation de la Thessalie, l'allégorie offrait une précieuse ressource. Sile peintre eût voulu s'en passer, que nous eût-il montré ? une vallée traversée par un fleuve. C’eût été là peut-être un paysage charmant, non la peinture d'un événement considérable dans l’histoire d'un peuple et d’une contrée. Des personnages empruntés à la Fable, comme Po- seidon, ou allégoriques comme la Thessalie, le Pénée et le Titarèse, permet- taient à l'artiste, non seulement de plaire aux yeux, mais encore de repré- senter, sans laisser à l'esprit la possibilité de prendre le change, un phéno- mène de l’ordre purement physique, un tremblement de terre.

On peut se demander en lisant la description de Philostrate quel est au juste le moment choisi. L'œuvre de Poseidon est-elle entièrement ac- complie ? Les montagnes sont entr'ouvertes et le Pénée s'écoule librement vers la mer; mais pourquoi Poseidon conserve-t-il toujours l'attitude d’un homme qui va frapper ? Pourquoi cette main levée en l'air, ce trident en arrêt, ce corps à moitié porté en avant, à moitié rejeté en arrière ? Croirons-

© nous, avec Philostrate, que les monlagnes, à peine menacées, ont pressenti

la volonté du dieu, et lui ont obéi avec plus d'empressement qu'il n'en a mis lui-même à les frapper ? L'explication paraît subtile et aurait pu échapper à un spectateur moins pénétrant que Philostrate, Penserons-nous, au con- traire, que Poseidon est 1à non pour laisser retomber son trident sur des ro- chers déjà fendus de la base au sommet, mais pour indiquer la manière dont ils ont été fendus ? Malgré l'autorité de Welcker et celle de Stephani (2), celte explication qui procède d'ailleurs d'une idée juste sur la part faite à la con- vention dans l'art antique, ne laisse pas de nous paraître insuflisante. L'artiste aurait donc réuni dans son tableau, dans une seule et mème scène, deux circonstances appartenant à des moments distincts de la durée, Poseidon s'ap- prêtant à frapper comme si rien n’eût été fait, les montagnes se séparant, comme si le dieu les eût déjà frappées; et le spectateur aurait été chargé tour à Lour d'oublier la brèche en considérant l'attitude du dieu, el l'altitude du dieu, en considérant la brèche ! Nous aimons mieux éroire que Poseidon est représenté au milieu de la tâche qu'il s’est imposée ; un premier coup de trident à entr'ouvert les montagnes; un second, un troisième coup, sont

(1) Cf. Preller, Gr. Myth., 1, 483. (2) Compte rendu de la Commiss, archéol. de Suint-Pétersb., 1874, p, 143 et suiv. Stephani voit dans ce tableau une prolepse analogue à celle du fronton ouest du Parthénon qui représente la dispute d'Athénä eu de Poseidon ; l'olivier et le cheval sortaient de terre, avant que le sol eût été touché par la lance d'Athénà et par le wrident de Po