Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/447

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pour la mer Adriatique. Cesdeux groupes, ces deux scènes, élaient rassemblés sur une longue langue de terre s'étendant dans le tableau même entre deux mers ; ce qui permet à Philostrate de dire aussitôt, au premier coup d'œil jeté sur la peinture : « voici un sacrifice dans un isthme. »

Welcker fait remarquer, à propos de ce tableau, que l'artiste a réuni, dans la même composition, deux circonstances qui ont dû se suivre, dans l'ordre des faits. Mélicerte n’a pas encore abordé, il n'est pas encore dieu, et déjà Sisyphe lui rend un culte. Philostrate, pour tout expliquer, prétend ingénieu- sement que Sisyphe a été averti par Poseidon de l’arrivée de Mélicerte. Welcker aime mieux croire que l'artiste a usé du privilège qui consiste à re- garder comme simultanées des actions successives, On pourrait adopter une troisième explication, plus simple peut-être. Sisyphe offre un sacrifice à Po- seidon (le taureau noir était la victime préférée de ce dieu) lorsque Mélicerte, porté sur un dauphin aborde dans l'isthme. La cérémonie, commencée en l'honneur de Poseidon, s'achève avec des rites particuliers en l'honneur de Mélicerte et de Poseidon qui amenait ainsi dans l’isthme et semblait rece- voir un nouveau dieu, protecteur des matelots en détresse. Des trois expli- cations aucune d'ailleurs n'est contraire à l'esprit de la légende grecque et au génie de l'art antique. Celle de Philostrate s'accorde mieux peut-être avec une antique tradilion que nous a conservée un commentateur de Pindare : Leucothoé et les Néréides formant un chœur auraient apparu à Sisyphe et lui auraient ordonné de célébrer les jeux isthmiques en l'honneur de Méli- certe (4). Poseidon remplace ici Leucothoé et le dieu commande un sacrifice et non des jeux ; mais les deux récits ont un trait commun : Sisyphe, le fondateur des mystères de Palæmon, aurait été favorisé d’une apparition divine et aurait ainsi connu, par avance, l’arrivée du nouveau dieu.

Il est intéressant de comparer avec notre tableau un célèbre camée du Musée de Vienne qui bien qu'offrant plusieurs difficultés d'interprétation, jusqu'ici peu résolues, paraît cependant se rapporter au culte corinthien de Palæëmon. Au milieu de la composition se tient Poseidon le pied sur un ro- cher; sa main droite s'appuie sur un sceptre ou un trident; il tient dans sa main gauche soit un morceau d'étoffe qu'on a pu prendre pour une mappa, signal des jeux, soit pour un pan de vèlement qui recouvre une partie de la jambe. A droite et à gauche se voient deux chevaux attachés par la bride, comme il semble, levant toutefois une jambe et comme prêts à courir. Dans la partie inférieure du camée, comme au fond de la mer, apparaissent deux fi- gures ; à gauche un enfant tient à la main une pomme de pin, un coquillage, suivant d’autres; à droite une femme couchée, à demi relevée sur un coude. Directement au-dessus de la tête de Poseidon, une espèce de base, autel ou tombeau, reposant sur un ornement formé de feuilles d'ache, soutient une figure d'enfant ailé, tout semblable à Eros; à gauche un personnage vu de

(1) Argum. de la 1°e iséhm., Boeckl ad Pind., I, p. 514. C', Frag. 1, Boeckh, III, 558.