Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/449

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la cime de ses hauteurs, d’où Poseidon surveille l’horizon ; des ruisseaux y portent partout la fraîcheur ; ses montagnes se couvrent de fleurs qui nourrissent les abeilles et que les Néréides cueillent sans doute quand elles se jouent à la surface des flots. L’île voisine dont le sol est uni et propre à la culture, est habitée par des pêcheurs et des laboureurs qui apportent sur un marché commun, ceux-ci leur récolte, ceux-là leur pêche. Voici un Poseidon laboureur qu’ils ont élevé sur une charrue munie d’un joug, attribuant à ce dieu les bienfaits de la terre ; mais pour que Poseidon n’ait point tout à fait l’air d’une divinité de terre ferme, une proue a été adaptée à la charrue, et le dieu en ouvrant le sol semble naviguer. Les deux îles qui suivent n’en formaient qu’une autrefois ; elles ont été séparées par la mer qui s’est frayé un passage et qui a laissé entre elles deux la largeur d’un fleuve. Tu peux, mon enfant, te rendre compte du fait, en regardant la peinture ; l’île en se déchirant, a mis en face l’une de l’autre deux côtes de même aspect, symétriques, avec des enfoncements et des saillies qui se correspondent. En Europe, dans la Thessalie, la vallée de Tempé présente un aspect semblable. Ouvertes par des tremblements de terre, les montagnes ont encore conservé sur leur pente la trace de la rupture ; on voit les cavités qu’a produites l’arrachement des roches et qui pourraient encore les recevoir ; la forêt qui a suivi les montagnes dans leur écartement n’a pas complètement disparu ; les fosses où plongeaient les racines des arbres se distinguent encore. Selon toute apparence, notre île a eu le même sort ; un pont, jeté sur le détroit, des deux îles semble n’en faire qu’une ; de l’une à l’autre on se rend soit en barque, soit en char ; tu vois les allants et venants, ici des voyageurs par terre, là des matelots. L’île voisine, mon enfant, nous offre un spectacle merveilleux ; dans toute son étendue, couve un feu souterrain qui vomit la flamme par les fissures et les cavernes comme par autant de canaux ; cette lave terrible forme de grands fleuves de feu qui se jettent en bouillonnant dans la mer. Voici la raison de ce phénomène. Le sol de l’île est de même nature que l’asphalte et le soufre ; une fois minée par les flots, elle est battue par les vents qui viennent de la mer et qui mettent le feu à toute cette matière combustible. La peinture suit le récit des poètes et nous explique l’éruption de l’île par la fable ; c’est un géant, dit celle-ci, qui a été précipité là autrefois ; comme il avait peine à mourir, une île jetée sur lui, devait lui servir de prison ; mais loin de céder, il lutte encore sous la terre, et lance avec menace des torrents de feu. Ainsi veulent faire, dit-on, Typhon en Sicile, Encelade en Italie ; ces deux géants