Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/450

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sur lesquels pèsent des continents et des îles ne sont pas encore morts, mais ils ne cessent de mourir. Tu peux, mon enfant, te croire transporté sur le lieu du combat, si tu regardes le sommet de la montagne ; car voici ce qu’on y voit. Zeus lance la foudre sur le géant qui bien qu’à bout de forces a toujours confiance dans le secours de la terre ; mais la terre contenue par Poseidon qui l’empêche de se dresser, renonce à la lutte. L’artiste a enveloppé cette scène d’un brouillard afin qu’elle parût plutôt appartenir au passé qu’au présent. Quant à cette colline, baignée de tous côtés par la mer, elle est habitée par un dragon qui y garde, j’imagine, un trésor caché sous la terre. Car cet animal a, dit-on, de la tendresse pour l’or ; tout ce qui est doré, il l’aime avec passion et le couvre de son corps ; c’est pourquoi la toison de Colchos et les pommes des Hespérides qui brillaient de l’éclat de l’or, étaient gardées par deux dragons, toujours éveillés, qui les regardaient comme leur bien propre. Et ce dragon d’Athènes qui habite dans l’Acropole, s’il protège les Athéniens, c’est sans doute à cause des cigales d’or, dont ils ornaient leur chevelure. Le dragon qui est ici est lui-même doré, comme nous pouvons en juger ; car il sort la tête de son antre, craignant, j’imagine, pour son trésor enfoui. Cette autre île qui disparaît sous le lierre, le smilax et les vignes, nous dit qu’elle est consacrée à Dionysos, mais Dionysos est absent et promène son ivresse sur le continent, laissant à Silène le soin de célébrer ici les mystères ; les cymbales sacrées gisent à terre sur le sol ; les cratères d’or sont renversés ; les flûtes, encore tièdes, reposent à côté des tambours muets ; le zéphyr soulève de terre les nébrides ; des serpents s’enroulent autour des thyrses, pendant que d’autres, ivres de vin et endormis, se laissent porter par les Bacchantes comme des ceintures. Le raisin est ici gonflé de suc, là commence à mûrir ; ailleurs il n’est pas mûr ou paraît être en fleur ; car Dionysos a eu la précaution de ne point assigner aux vignes la même époque de maturité afin de prolonger la vendange. Les grappes sont tellement abondantes qu’elles descendent avec la falaise et pendent au-dessus des flots. Des bandes d’oiseaux tant de la mer que de la terre s’abattent sur les raisins pour les becqueter. Dionysos, en effet, veut que la vigne se donne à tous les oiseaux, il ne repousse de ses grappes que la chouette qui inspire aux hommes l’horreur du vin ; car si un enfant vient à manger les œufs d’une chouette avant de savoir parler et d’avoir pris du vin, il déteste cette liqueur pendant toute sa vie, se garde d’en boire lui-même et redoute l’ivresse des autres. Quant à toi, mon enfant, tu as assez de hardiesse pour regarder le gardien de l’île, Silène, qui est ivre pourtant et