Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/474

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le sommet de la montagne, et pense que de là, comme d’un observatoire, les dieux contemplent le combat. En effet, le peintre a représenté un nuage d’or qui sert, j’imagine, de tente aux dieux, et je vois Hermès en descendre pour couronner Héraclès, qui lui a donné le spectacle d’une si belle lutte.



Commentaire.


Welcker distinguait deux scènes dans ce tableau : l’une représentait Héraclès et Antée, au moment où les deux adversaires se rencontrent ; Héraclès venait de quitter le jardin des Hespérides ; il tenait encore dans les mains les fameuses pommes qu’il devait rapporter à Eurysthée ; il détachait ou avait déjà détaché sa peau de lion ; Antée, au milieu des tombeaux qui renfermaient ses victimes, prenait l’amphotide et se préparait à défier le héros au pugilat. Dans le seconde scène, Héraclès soulevait de terre le géant et l’étouffait dans ses bras. Selon Brunn, au contraire, le spectateur n’aurait eu sous les yeux que la victoire d’Héraclès ; les préparatifs de la lutte, longuement décrits par le sophiste, Philostrate ne les aurait vus qu’en imagination ; c’est un tableau qu’il compose à l’imitation du peintre, et qu’il place, en esprit à côté du tableau véritable, par manière de préface et pour éviter l’allure trop simple d’un récit.

Il est difficile de partager cette opinion, quand on lit attentivement la description de Philostrate. Pourquoi en effet le rhéteur réunirait-il, dans sa première phrase, les objets qu’il voit bien réellement, puisqu’ils l’aident à reconnaître le sujet, comme les tombeaux, les stèles, les inscriptions, et des actes qui auraient eu lieu plus tôt, comme les préparatifs d’Antée et d’Héraclès ? D’un autre côté, nous savons que les anciens aimaient à montrer au spectateur, dans le même cadre, les différents épisodes d’une même histoire, d’une même légende. C’est une question que nous avons traitée ailleurs et sur laquelle il serait superflu de revenir. Rappelons toutefois un des exemples les plus frappants de cette pratique, et le plus propre à être cité en cette occasion. Dans une des peintures trouvées dans les fouilles de l’Esquilin, en 1845, Circé se tient à la porte de son palais pour recevoir Ulysse et dans l’intérieur même du palais Circé est à genoux devant Ulysse qui a tiré l’épée[1]. La première scène de ce tableau n’est pas nécessaire, comme on le voit, pour expliquer la seconde ; elle n’a d’autre objet que de rappeler le récit homérique. Au moins, dans notre peinture, y avait-il quelque intérêt à voir les deux adversaires, au moment où leurs yeux se rencontrent pour la première fois, où ils se mesurent du regard, et se préparent à une lutte sans merci. D’ailleurs le tableau, Atlas portant le ciel, et ceux qui suivent, Héraclès parmi les Pygmées,

  1. Voir l’Introduction, p. 105 et la planche ci-contre.