Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/489

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le bœuf sur les charbons enflammés, tâtant les chairs, examinant le degré de cuisson et gourmandant presque la paresse du feu. L’artiste n’a point négligé de donner au sol son caractère propre ; car là même où la terre ne se refuse pas à toute culture, on voit bien, si je ne me trompe, qu’elle manque de fertilité. Héraclès n’a qu’une pensée, dévorer le bœuf ; les imprécations de Thiodamas le préoccupent tout juste assez pour dérider son visage. Le laboureur assaille d’ailleurs Héraclès à coups de pierres ; sa chevelure est inculte ; son visage immonde ; ses bras, ses genoux sont ceux que la terre, dans sa tendresse, donne aux athlètes qui luttent contre elle. Depuis cet exploit d’Héraclès, Thiodamas est vénéré des Lindiens qui immolent au héros un bœuf de labour, et commencent le sacrifice par des imprécations, celles-là, j’imagine, que profère l’antique laboureur. Héraclès aime à les entendre et comble de biens les habitants de Lindos, en récompense de leurs malédictions.



Commentaire.


Héraclès pressé par la faim était capable de manger un bœuf tout entier ; de là le surnom de Buphagos qu’il mérita à plusieurs reprises. Philostrate parle de son séjour chez le roi des Lapithes, Coronos, et prétend que là il dévora un bœuf avec ses os. Chez les Dryopes du mont Œta où d’autres auteurs placent sa rencontre avec Thiodamas, il aurait partagé le bœuf avec Déjanire, son fils Hyllos et Lichas le gouverneur de son fils, s’il faut en croire le scoliaste d’Apollonius ; selon Apollodore, il se le réserva pour lui seul et l’engloutit dans son estomac. En Triphylie, il engagea avec Lépréos, le roi des Caucones, un combat de voracité ; les deux adversaires tuèrent un bœuf en même temps, se mirent en devoir de le déchirer à belles dents, et dit Pausanias, Lépréos se montra aussi grand mangeur qu’Héraclès. À Thermydres, port de l’île de Rhodes, Héraclès, débarquant, rencontra un bouvier qui conduisait un char attelé de deux taureaux ; il en détela un, le sacrifia et le mangea. Le bouvier trop faible pour lui résister, se retira sur une hauteur, dit Apollodore, et se mit à l’accabler d’injures. C’est à cette dernière légende que l’artiste avait emprunté le sujet du tableau décrit par Philostrate ; seulement le rhéteur donne au bouvier le nom de Thiodamas qui, selon certains auteurs et Apollodore entre autres, appartient au laboureur Dryope.

L’ordonnance du tableau était d’une grande simplicité ; d’un côté, Héraclès faisait rôtir son bœuf et surveillait la cuisson, comme un héros d’Homère ; de l’autre, à distance sans doute et peut-être sur une hauteur, on apercevait le bouvier s’armant de pierres contre le héros ; ce qui permet à Philostrate de supposer qu’il proférait aussi des injures contre le ravisseur de son taureau. On voit avec plaisir que l’artiste, au lieu de montrer seulement un Héraclès