Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/495

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un pendant parmi les peintures campaniennes ; il ya mieux : les objets qu’il représentait sont si fréquents sur les murs de Pompéi qu’il suffirait presque de copier ici un détail, là un autre pour refaire entièrement le tableau. On ne retrouverait peut-être pas le lièvre en cage, mais voici le lièvre éventré et suspendu par les pattes (4). S’il n’y a pas de chien pour garder un lièvre mort, une peinture de salle à manger, dit Mazois (2), nous montre un chien dé- fendant contre un chat et un chien plus gros un morceau de pain et un mor- ceau de viande. Ailleurs nous voyons quatre canards attachés au croc ; l’un est sans vie et pend de toute la longueur de son corps ; les trois autres en- core vivants redressent la tête : tous les quatre, ainsi disposés, forment un groupe harmonieux, naturel, bien qu’astreint aux lois de la symétrie. Dans la casa dei Dioscuri (3), une oie git sur le sol, les pattes attachées ensemble, il est vrai qu’elle n’a pas la poitrine plumée, comme les oies de notre tableau. Nombreux sont les paniers de figues (4) ; les pains non plus ne sont pas ra-

s ; il y en a de petits et de gros ; des blancs et des bruns ; les uns à quatre divisions, les guadræ des latins, les autres à sillons multiples, partant du centre (5) ; étaient-ils analogues aux pains octablomes dont parle Philostrate ? Il semble naturel de le croire.

ILest fâcheux que Philostrate ne nous donne pas sur ce tableau quelques détails techniques. On aimerait à savoir si les objets étaient disposés avec symétrie ou dans un désordre piltoresque, si l’artiste avait simulé la nature dans ses moindres accidents, si les couleurs, tout en restant vraies, se fon- daient dans un ensemble harmonieux, siun sage emploi du clair-obscur don- nait à toute chose un relief suffisant ; mais le sophiste ne veut pas tant louer le talent du peintre que lutter avec la peinture elle-même pour exciter le désir du spectateur : de là ces particularités suggérées à l’écrivain par l’ima- gination plutôl qu’observées sur le tableau, comme ces pains parfumés de fenouil, de persil ou de pavot ; de là cette invitation à faire main basse sur le fruit qui dans quelques instants aura perdu de sa fraicheur. En outre un ta- bleau de nature morte ne porte pas en lui-même son explication, aux yeux d’un rhéteur. Pourquoi l’artiste a-t-il réuni tous ces objets ? sans doute parce qu’ils faisaient bien ensemble, et que rapprochés ils servaient à la décoration d’un panneau ; mais ce motif n’est pas suffisant pour Philostrate. Ce sont là des présents que le sol, que la peinture, suivant le terme de Philostrate, offre au propriétaire, comme le fermier à son patron ; ce sont des présents envoyés des champs à la ville, ils prouvent la richesse de l’heureux mais trop dédaigneux possesseur.

(1) Helb., Wandg., n° 1692.

(2) Jbid., n°s 1661 ot suiv.

(3) Ant. d’Ere., vol. V, p. 315. Roux aîné, I, pl. IV et V. (4) Ané. d’H, , 2 p., 209 et 287.

(5) Antiquités de Pompéi, U, 55, p. 99, Helbig, n° 1606.