Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/498

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long temps ses coursiers, jusqu’à ce que la jeune vierge, Pallas Athénà, eût enlevé de ses épaules les armes divines ; le prudent Jupiter fut réjoui. » Ce sont là de fortes images, propres à la poésie, mais que l’art ne chercherait pas à retracer sans trahir sa faiblesse et son impuissance. L’artiste cepen- dant avait essayé de suppléer, dans la mesure deses ressources, à cette in- fériorité de la peinture ; nymphes et fleuves étaient présents, pour rendre la scène plus solennelle ; les dieux et les déesses donnaient des marques d’ef- froi. Si Philostrate ajoute qu’Héphæstos avait l’air de se demander comment il gagnerait les bonnes grâces de la déesse, venue au monde tout armée et par cela mème dispensée d’avoir recours aux bons offices du dieu, c’est là une subtilité de rhéteur quia dù prendre volontairement l’expression de l’étonnement pour celle de l’inquiétude : si l’on voulait lutter de finesse avec le sophiste, ne pourrait-on pas lui répondre qu’Héphæstos avait tort d’être inquiet ; le coup de hache asséné sur la tête de Jupiter valait bien, en pareille circonstance, le don d’un bouclier ou d’une cuirasse. Philostrate est mieux inspiré, ou, pour parler plus exactement, il a mieux observé quand il lit un sentiment de fierté et de satisfaction sur le visage de Jupiter, Ce n’était point non plus le lieu de songer aux jalousies d’Héra ; il est difficile de croire qu’elle se réjouissait ; l’étonnement, qui est le sentiment le plus naturel en présence d’un fait si merveilleux, ne devait point laisser de place à la joie. En tout cas si l’artiste, comme le veut Philostrate, avait peint un Héphæstos inquiet etune Héra joyeuse, il aurait volontairement affaibli l’in- térèt de son sujet, et détruit l’unité d’impression ; d’une scène qui devait avoir un caractère religieux, il eût fait une scène moitié sérieuse, moilié riante ; d’un grand événement théologique, il n’eût aperçu que le côté anec- dotique et familier. Toutefois il y aurait quelque témérité à contester tout à à fait les assertions de Philostrate : nous n’avons point le tableau, et rien ne saurait en tenir lieu ; d’un autre côté, l’œuvre appartient à une époque de décadence, où l’élément humoristique se mêlait aux sujets les plus sévères ; où même la réunion de caractères contradictoires dans une même peinture ne paraît pas avoir été sans exemple (1). Entin, on pourrait croire qu’il y a eu ici, de la part de Philostrate et peut-être de l’artiste, une réminiscence de quelque poète comique ; nous savons, en effet, qu’Hermippe avait donné une comédie, intitulée La naissance d’Athénä, où sans doute le poète raillait les douleurs de Zeus et les dispositions des dieux à l’égard de la nouvelle déesse ; un même esprit de scepticisme et d’ironie règne dans le dialogue de Lucien entre Jupiter et Héphæstos : « Nous ne savions pas, dit ce dernier à Jupiter délivré, que tu avais un camp au lieu de tête. Mais vois done, elle saute, elle danse la pyrrhique, agite son bouclier, brandit sa lance, est saisie d’en- thousiasme. Ce qui est plus fort, c’est qu’elle est devenue tout à coup fort belle et bonne à marier. » Et le dieu la demande à Jupiter pour le prix du

(1) Déjà dans la peint, camp., voir Helbig, Untersuh, p. 89 et suiv. ; p. 102.