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le tissu pour tendre les lisses qui se sont relâchées. Elles trouvent d’ailleurs la récompense de leurs peines ; elles dévorent les mouches que leurs filets ont retenues captives. Le peintre n’a pas oublié de représenter ce genre de chasse. Une mouche est retenue par la patte ; l’autre, par l’extrémité de l’aile ; la tête d’une autre est déjà dévorée. Les victimes tressaillent et font des efforts pour fuir ; mais elles ne peuvent ni briser ni agrandir les mailles du tissu.



Commentaire.


Ce tableau rentre dans le genre que les anciens désignaient sous le nom de rhopographie ou peinture de menus objets. La perfection du travail, l’exactitude de l’imitation, tels sont les mérites propres à ce genre ; tels sont aussi ceux que Philostrate découvre et loue dans notre tableau. Cependant le sujet avait ici un certain intérêt par lui-même, et le sophiste semble l’avoir compris ; cette toile ingénieusement construite, cette araignée en embuscade, ces mouches prisonnières, ce sont là des merveilles qu’il ne saurait être interdit aux peintres de représenter avec amour plus qu’au savant d’observer avec curiosité. La toile décrite par Philostrate est particulièrement remarquable par sa régularité ; elle semble avoir été faite par une de ces Épéires, dont les toiles, véritables chefs-d’œuvre de tissage, amusent l’œil autant qu’elles étonnent l’esprit[1]. Pour justifier le choix d’un pareil sujet, il n’est pas besoin de rappeler une maxime chère à la critique moderne : « tout ce qui a vie a droit » ; il suffit de croire que le droit existe partout où aux signes vulgaires de la vie se joignent les signes supérieurs de l’intelligence et de l’instinct. Si l’artiste eût tendu dans les angles de son vestibule délabré les toiles informes et sordides que filent plusieurs espèces d’araignées, peut-être serions-nous de l’avis de Heyne qui s’écriait : voici un singulier sujet de peiature, mirum argumentum tabulæ. Mais nous avons devant les yeux une araignée savante, une toile belle en son genre ; à ce titre, l’araignée et sa toile méritent de figurer dans une galerie d’art, comme la toile de l’Épéire diadème, d’illustrer un ouvrage sur les mœurs des insectes.

La description de Philostrate convient bien à une toile d’araignée ; voilà les fils que M. Blanchard, comme le rhéteur grec, appelle des câbles, destinés à soutenir l’édifice[2] ; voici les rayons et les cercles concentriques ; mais comment Philostrate peut-il dire qu’entre les rayons il y a la même distance

  1. Voir Em. Blanchard, Métamorphoses des Insectes, p. 684.
  2. Ibid. « À l’automne, on voit dans tous nos jardins, bien campée au milieu de sa toile, la grosse Épéire de notre pays, l’Épéire diadème, qui a reçu son nom des ornements qui se dessinent sur la teinte rosée de son abdomen… Dans la toile de cette belle araignée, on distingue les cordages qui soutiennent l’édifice ; les rayons et les cercles qui forment la trame. » L’admiration de M. Blanchard égale celle de Philostrate, ce qui justifie le sophiste.