Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/527

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que par celui qui l’avait blessé ; déguisé en mendiant, il pénétra dans le camp des Grecs, s’empara du jeune Oreste, et se réfugiant sur un autel, me- naça de tuer l’enfant, si les Grecs ne voulaient point avoir pitié de lui. Un peuderouille, détachée de la lance d’Achille, guérit la blessure que cette lance avait faite : ainsi s’accomplit l’oracle.

La poésie et les arts s’emparèrent de celte légende (1). Les monuments conservés jusqu’à nous, ou que nous connaissons par la mention des écri- vains anciens, peuvent se diviser en quatre groupes : sur les uns, Télèphe vient de naître (2), sur les autres, Télèphe est un guerrier combattant (3) ; d’autres nous transportent dans le camp des Grecs, nous le montrent levant le poignard sur Oreste ou recevant les soins d’Achille qui fait tomber de sa lance sur la blessure ouverte la rouille bienfaisante (4).

Quel était le moment choisi par l’artiste, dans l’œuvre que décrit Philos- trate ? Si nous voulons nous en rapporter aux seules paroles du sophiste, Télèphe vient d’être blessé et les Grecs, malgré cette vicloire, s’éloignent du Caïque. I1 semble toutefois étonnant que dans une semblable composition, Achille ne fût pas représenté : Achille fuyait-il donc avec tous les Grecs ? Dans les Héroïques, Philostrate prétend que si Achille avait blessé Télèphe, c’était Protésilas qui lui avait enlevé son bouclier ; il nous montre un grand nombre de guerriers et l’épouse mème de Télèphe prenant part à la lutte. Pourquoi Télèphe reste-t-il seul, et s’il n’est pas seul, pourquoi Philostrate ne mentionne-t-il pas ses adversaires ou ses compagnons ? D’un autre côté, si Télèphe blessé demeure sur le champ de bataille, après la fuite de tous les ennemis, ne devait-il pas être entouré de cadavres abattus par ses braves Mysiens ou par lui-même ? D’où vient donc que l’auteur de l’épigramme, au lieu de nous décrire une semblable scène comme présente à ses yeux, se borne à nous rappeler le Caïque ensanglanté ? Ces difficultés d’interprétation dis- paraissent si l’on veut bien supposer que l’œuvre décrite est, non pasune com- posilion à plusieurs personnages, mais la représentation du seul Télèphe par la peinture ou lasculpture. Mais comment concilier cettesupposition avec les paroles de l’auteur grec : « Tant de souffrances ne rassurent point le cœur tremblant des Grecs qui fuient en désordre le rivage de Teuthras. » On aurait tort, croyons-nous, d’attacher une trop grande importance à ce détail. Phi- lostrate emploie ici, avec toute la liberté de la poésie, un procédé dont il a fait usage dans ses descriptions en prose ; c’est en imagination qu’il voit les Grecs en déroute ; non seulement il anime le personnage représenté par l’art, mais il le replace en esprit dans le cadre qui lui sourit le plus ; il s’est sou- venu d’ailleurs des vers de Pindare qui montre les Grecs se précipitant sur

(1) Cf. Jahn, Archäol. Aufsälze, Telephos, p. 160 ; Overbeck, Die Bildw., p. 294 et suiv.

( ?) Voir surtout la peint. campan., n° 1143 d’Helbig ; Roux, II, 1.

(3) Un fronton du temple d’Athénà Aléa à l’égée (Pausanias, VI, 45, 4) et des médailles ; peut- être l’Ara Casali. Voir Jahn et Overb.

(4) Ges deux derniers groupes très nombreux. Voir Overbeck., £. c,


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