Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/124

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de cet accident eust refusé, sans le commandement qu’Amasis luy en fit. Et puis Guyemants reprit la parolle ainsi : J’ay jusques icy satisfait à la derniere volonté d’Aristandre, il reste que je poursuive sur son homicide sa cruelle mort. Mais si autresfois l’offense m’avoit fait ce commandement, l’amour à ceste heure m’ordonne, que ma plus belle vengeance soit le sacrifice de ma liberté, sur le mesme autel, qui fume encores de celle de mon frere, qui m’estant ravie, lors que je n respirois contre vous, que sang, et mort, rendra tesmoignage que justement tout œil qui vous void, vous dois son cœur pour tribut, et qu’injustement tout homme vit, qui ne vit en vostre service. Silvie confuse un peu de ceste rencontre, demeura assez long-temps à respondre, de sorte qu’Amasis prit le papier qu’elle avoit en la main, et ayant dit à Guyemants que Silvie luy feroit response, elle se tira à part avec quelques-unes de nous, et rompant le cachet, leut telles paroles.

Lettre d’aristandre a Silvie

Si mon affection ne vous a peu rendre mon service agreable, ny mon service mon affection, que pour le moins, ou ceste affection vous rende ma mort pleine de pitié, ou ma mort vous asseure de la fidelitéde mon affection, et que comme nul n’ayma jamais tant de perfections, que nul aussi n’ayma jamais avec tant de passion. Le dernier tesmoignage que je vous en rendray, sera le don de ce que j’ay de plus cher apres vous, qui est mon frere ; car je sçay bien que je le vous donne, puis que je luy ordonne de vousde vous voir, sçachant assez par experience, qu’il est impossible que cela soit sans qu’il vous ayme. Ne vueillez pas, ma belle meurtriere, qu’il soit heritier de ma fortune, mais ouy bien de celle que j’eusse peu justement meriter envers toute autre que vous. Celuy qui vous escrit, c’est un serviteur,