Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/142

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de luy, parce que sçachant combien les armes de la beauté du berger estoient trenchantes, elle jugeoit bien qu’il en pouvoit blesser aussi bien deux, comme une. Toutesfois, estant contrainte de passer par ses mains, ell taschoit de se detromper le plus qui luy estoit possible, et ainsi continuoit tous-jours envers la nymphe le mesme visage qu’elle avoit accoustumé.

Et lors qu’elle la veit venir à elle, elle s’avança pour s’enquerir comme se portoit le berger, et ayant sceu qu’il estoit au mesme estat qu’elle l’avoit laissé, elle se remit au promenoir ; et apres avoir fait quelques pas sans parler, elle se tourna vers la nymphe, et luy dit : Mais, dites moy, Leonide, fut-il jamais homme plus insensible que Celadon, puisque ny mes actions, ny vos peruasions ne luy peuvent donner ressentiment de ce qu’il me doit rendre ? – Quant à moy, respondit Léonide, je l’accuse plustost de peu d’esprit, et de faute de courage, que non point de ressentiment, car j’ay opinion qu’il n’a pas le jugement de recognoistre à quoy tendent vos actions ; que s’il recognoist mes paroles, il n’a pas le courage de pretendre si haut. Et ainsi, autant que l’aymant de vos perfections et de vos faveurs le peut eslever à vous, autant la pesanteur de son peu de merites, et de sa condition le rabaisse ; mais il ne faut point trouver cela estrange, puisque les pommiers portent des pommes, et les chesnes des glans, car chaque chose produit selon son naturel. Aussi que pouvez-vous esperer, que produise le courage d’un villageois, que des desseins d’une ame vile, et rabaissée ? – Je croy bien, respondit Galathée, que la grande difference de nos conditions luy pourroient donner beaucoup de respect ; mais je ne puis penser, s’il recognoist ceste difference, qu’il n’ait assez d’esprit, pour juger à quelle fin je le traite avec tant de douceurs, si ce n’est qu’il soit desja tant engagé envers ceste Astrée,