Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/141

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hameaux, et vos troupeaux, pour ceux qui n’ont pas les merites que vous avez, et qu’à l’advenir vous leviez les yeux à moy, qui puis, et veux faire pour vous, si vos actions ne m’en ostent la volonté.

Quoy que le berger fist semblant de n’entendre ce discours, si le comprint-il aysément, et dés lors évita le plus qu’il luy fut possible, de parler à elle particulierement. Mais le déplaisir que ceste vie luy rapportoit, estoit tel, que perdant presque patience, un jour que Leonide l’oyant souspirer, luy en demanda l’occasion, puis qu’il estoit en lieu où l’on ne desiroit rien que son contentement, il luy respondit : Belle nymphe, entre tous les plus miserables, je me puis dire le plus rigoureusement traité de la fortune, car pour le moins ceux qui ont du mal ont aussi permission de s’en douloir, et ont ce soulagement d’estre plaints ; mais moy, je ne l’ose faire, d’autant que mon malheur vient couvert du masque de son contraire, et cela est cause qu’au lieu d’estre plaint, je suis plustost blasmé pour homme de peu de jugement. Que si vous et Galathée sçaviez quels sont les amers absinthes, dont je suis nourry en ce lieu, heureux à la verité pour tout autre que pour moy, je m’asseure que vous auriez pitié de ma vie. - Et que faut-il, dit-elle, pour vous soulager ? – Pour ceste heure, luy dit-il, il ne me faut que la permission de m’en aller. – Voulez-vous, repliqua la nymphe, que j’en parle à Galathée ? – Je vous en requiers, respondit-il, par tout ce que vous aimez le plus. – Ce sera donc par vous, dit la nymphe en rougissant.

Et, sans tourner la teste vers luy, elle sortit de la chambre pour aller où estoit Galathée, qu’elle trouva toute seule dans le jardin, et qui desja commençoit de soupçonner qu’il y eust de l’amour du costé de Leonide, luy semblant qu’elle n’avançoit en rien en la charge qu’elle luy avoit donnée, quoy qu’elle ne bougeast presque de tout le jour d’aupres