Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/162

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me dit assez haut : Le juge qui vous a donné le prix de beauté, a monstré d’avoir beaucoup de jugement et me semble que quoy que la justice de vostre cause meritast bien une si favorable sentence, vous ne laissez de luy avoir quelque obligation. – Je croy, berger, luy respondis-je assez bas, qu’il m’est plus obligé que moy à luy, puis que s’il m’a donné une pomme, qui en quelque sorte m’estoit deue, je luy ay donné la vie, que pour sa temerité il meritoit de perdre. – Aussi m’a-t’il dit, respondit incontinent Celadon, qu’il ne la veut conserver que pour vostre service. – Si je n’eusse eu plus d’egard, repliquay-je, à moy mesme qu’à luy, je n’eusse pas laissé sans chastiment une si grande outrecuidance. Mais, Celadon, c’est assez, coupons là ce discours, et contentez-vous, que si je ne vous ay faict punir comme vous meritez, ce n’a seulement esté, que pour ne vouloir donner occasion à chacun de penser quelque chose de plus mal à propos de moy et non point pour faute de volonté que j’eusse de vous en voir chastié. – S’il n’y a eu, dit-il, que ceste occasion, qui ait retardé ma mort, dites moy de quelle façon vous voulez que je meure, et vous verrez que je n’ay moins de courage pour vous satisfaire, que j’ay eu d’amour pour vous offenser.

Ce discours seroit trop long, si je voulois particulierement vous redire tous nos propos. Tant y a, qu’apres plusieurs repliques d’un costé et d’autre, par lesquelles il m’estoit impossible de douter de son affection, si pour le moins les divers changemens de visage en peuvent donner quelque cognoissance, je luy dis, feignant d’estre en colere : Ressouviens toy, berger, de l’inimitié de nos peres, et croy que celle que je te porteray ne leur cedera en rien, si tu m’importunes jamais plus de tes folies, ausquelles ta jeunesse et mon honneur font pardonner pour ceste fois. Je luy dis ces derniers mots, afin de luy donner un