Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/165

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pere, sans faire une grande faute. – L’obeissance, adjousta-t’il, que je luy dois, ne peut passer au delà de ce que je puis sur moy. Car ce n’est pas faillir, de ne point faire ce que l’on ne peut ; mais, soit ainsi que je le doive, puis que de deux maux on doit fuir le plus grand, je choisiray plutost de faillir envers luy, qui n’est qu’un homme, qu’envers vostre beauté qui est divine.

Nos discours en fin continuerent si avant, qu’il fallut que je luy permisse d’estre mon serviteur. Et d’autant que nous estions si jeunes et l’un et l’autre, que nous n’avions pas encore beaucoup d’artifice pour couvrir nos desseins, Alcippe s’en print incontinent garde, et ne voulant point que ceste amitié passast plus outre, il resolut avec le bon vieillard Cleante son ancien amy, de luy faire entreprendre un voyage si long, que l’absence effaçast ceste jeune impression d’amour ; mais cest esloignement y profita aussi peu que tous les autres artifices, dont depuis il se servit. Car Celadon, quoy que jeune enfant, a tousjours eu une telle resolution à vaincre toutes difficultez, qu’au lieu que quelqu’autre eust pris ces contrarietez pour peine, il les recevoit pour preuve de soy-mesme, et les nommoit les pierres de touche de sa fidelité ; et d’autant qu’il sceut que son voyage devoit estre long, il me pria de luy donner commodité de me dire à Dieu.

Je le fis, belle Diane, mais si vous eussiez veu l’affection dont il me supplioit de l’aimer, les sermens dont il m’asseuroit de ne point changer, et les conjurations dont il m’obligeoit à n’en aimer point d’autre, vous eussiez, sans doute, jugé, que toutes choses plus impossibles pouvoient arriver plustost que la perte de ceste amitié. En fin ne pouvant plus retarder, il me dit : Mon Astre, car tel estoit le nom, dont plus communement en particulier il me nommoit, je