Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/166

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vous laisse mon frere Lycidas, à qui je ne celay jamais un seul de mes desseins. Il sçait quel service je vous ay voué, permettez moy, si vous voulez que je parte avec quelque contentement, que vous recevrez comme venant de moy, tous les services qu’il vous fera, et par sa presence vous renouvellerez la memoire de Celadon. Et certes il avoit raison de me faire ceste priere, car Lycidas, durant son esloignement, se monstra si curieux d’obsever ce que son frere luy avoit recommandé, qu’il y en eut plusieurs qui creurent qu’il avoit succedé à l’affection que son frere me portoit. Cela fut cause qu’Alcippe, apres l’avoir tenu trois ans hors de ceste contrée, le rappella avec opinion qu’un si long terme auroit aisément effacé la legere impression qu’amour avoit peu faire en une ame si jeune, et que devenu plus sage, il distrairoit mesme Lycidas de mon affection. Mais son retour ne me fut qu’une extreme asseurance de sa fidelité ; car la froideur des Alpes, qu’il avoit passées par deux fois, ne peut en rien diminuer le feu de son amour, ny les admirables beautez de ces Romaines le divertir tant soit peu de ce qu’il m’avoit promis. O Dieu ! avec quel contentement me vint-il retrouver ! il me supplia par son frere, que je luy donnasse commodité de me parler. Je croy avoir encore sa lettre. Helas ! j’ay plus cherement consevé ce qui venoit de luy, que luy-mesme. Et lors elle tira de sa poche un petit sac semblable à celuy que Celadon portoit, où à son imitation elle conservoit curieusement les lettres qu’elle recevoit de luy, et tirant la premiere, car elles estoient toutes d’ordre, apres s’estre essuyé les yeux, elle leut tels mots.

Lettre de Celadon à la Bergere Astrée

Belle Astrée, mon exil a esté vaincu de ma patience ; fasse le Ciel qu’il l’ait aussi esté de vostre amitié. Je suis party avec