Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/175

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trop marrie que j’eusse ceste opinion d’elle, et que pour m’en rendre plus de preuves, puis que je voulois qu’elle receust Lycidas, qu’elle m’obeyroit lors qu’elle recognoistroit qu’il l’aymeroit ainsi que je disois. Cela fut cause que Celadon la trouvant quelque temps apres avec moy, luy donna une lettre que son frere luy escrivoit par mon conseil.

Lettre de Lycidas à Phillis

Si je ne vous ay tousjours aimée, que jamais ne sois-je aimé de personne, et si mon affection a jamais changé, que jamais le mal-heur où je suis ne se change. Il est vray que depuis quelque temps, j’ay plus caché d’amour dans le coeur, que je n’en ay laissé paroistre en mes yeux, ny en mes paroles. Si j’ay failli en cela, accusez en le respect que je vous porte, qui m’a ordonné d’en user ainsi. Que si vous ne croyez le serment que je vous en fay, tirez en telle preuve que vous voudrez de moy, et vous cognoistrez que vous m’avez mieux acquis, que je ne sçay vous en asseurer par mes veritables, mais trop impuissantes paroles.

En fin, sage Diane, apres plusieurs repliques d’un costé et d’autre, nous fismes en sorte que Lycidas fut receu, et dés lors nous commençasmes tous quatre une vie, qui n’estoit point desagreable, nous favorisans l’un l’autre avec le plus de discretion qu’il nous estoit possible. Et à fin de mieux couvrir nostre dessein, nous inventasmes plusieurs moyens, fut de nous parler, fut de nous escrire secrettement. Vous aurez peut-estre bien pris garde à ce rocher, qui est sur le grand chemin allant à la Roche. Il faut que vous sçachiez, qu’il y a un peu de peine à monter au dessus, mais y estant, le lieu est enfoncé, de sorte que l’on s’y peut tenir debout sans estre veu par dehors, et parce qu’il est sur le grand chemin, nous le choisismes