y ton cours, et demeure bien fortuné, où mon mal-heur m’empesche d’estre. Que si tu parviens en ses mains, qui m’ont ravi le cœur, et qu’elle te demande ce que je fay ? dy luy, ô fidelle papier, que jour et nuict je me change en pleurs pour laver son infidelité. Et si, touchée de repentir, elle ne guerit pas la playe qu’elle a faite à sa foy, et à mon amitié, et que mes ennuis seront tesmoins et devant les hommes, et devant les dieux, que comme elle est la plus belle, et la plus infidelle du monde, que je ne suis aussi le plus fidelle et plus affectionné qui vive, avec asseurance toutesfois de n’avoir jamais contentement que par la mort.
Nous n’eusmes pas si tost jetté les yeux sur ceste escriture, que nous la recogneusmes tous trois, pour estre de Celadon ; qui fut cause que Lycidas courut pour retirer les autres qui nageoient sur l’eau, mais le courant les avoit emportées si loin, qu’il ne les peut atteindre. Toutesfois nous jugeasmes bien par celle-cy, qu’il devoit estre aupres de la source de Lignon, qui fut cause que Lycidas le lendemain partit de bonne heure pour le chercher, et usa de telle diligence, que trois jours apres il le trouva en sa solitude, si changé de qu’il souloit estre, qu’il n’estoit pas presque recognoissable. Mais quand il luy ditm qu’il falloit s’en revenir vers moy, et que je le luy commandois ainsi, il ne pouvoit à peine se persuader que son frere ne le voulust tromper. En fin la lettre qu’il luy porta de moy, luy donna tant de contentement, que dans fort peu de jours il reprit son bon visage, et nous revint trouver, non toutesfois si tost qu’Alcippe ne mourust avant son retour, et que peu de jours apres Amarillis ne le suivist. Et lors nous eusmes bien opinion que la fortune avoit fait tous ses plus grands efforts contre nous, puis que ces deux personnes estoient mortes, qui nous y contrarioient le plus. Mais n’advint-