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Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/274

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s’ils ne vous aiment point, ils sont sans jugement, vos perfections estans telles, qu’avec raison elles ne peuvent ny estre aimées, ny n’estre point aimées. Et moy, estant contraint de tomber en l’une de ces deux erreurs, j’ay choisi celle qui a plus esté selon mon humeur, et dont aussi bien il m’estoit impossible de me retirer. Ne trouvez donc mauvais, belle Diane, puis qu’on ne vous peut voir sans vous aimer, que vous ayant veue je vous aime. Que si ceste temerité merite chastiment, ressouvenez vous que j’aime mieux vous aimer en mourant, que vivre sans vous aimer. Mais que dis-je, j’aime mieux ? il n’est plus en mon choix : car il faut que par necessité je sois, tant que je vivray, aussi veritablement vostre serviteur, que vous ne sçauriez estre telle que vous estes, sans estre la plus belle bergere qui vive.

A peine peus-je achever ceste lettre que je m’en retournay toute tremblante, et Daphnis la remit si doucement où elle l’avoit prise, qu’il s’en esveille point. Et s’en revenant à moy qui l’attendois assez pres de là : Me permettez-vous de parler ?me dit-elle ? – Nostre amitié, luy respondis-je, vous en donne toute puissance. – En verité, continua-t’elle, je plains Filandre, car il est tout vray qu’il vous aime, et m’asseure qu’en vostre ame vous n’en doutez nullement. – Daphnis, luy dis-je, qui aura failly en fera la penitence. – Si cela estoit, me repliqua-t’elle, Fialndre n’en feroit point, car je n’advoueray jamais que ce soit faute de vous aimer, et croirois que ce seroit plustost offenser de ne le faire pas, puis que les choses belles n’ont esté faites que pour estre aimées et cheries. – Je me remets à vostre jugement, luy dis-je, si mon visage doit estre mis entre les choses qui sont nommées belles. Mais je vous conjure seulement par vostre amitié de ne luy faire jamais sçavoir que j’aye quelque cognoissance de son intention. Et si vous l’aimez, conseillez-luy de ne m’en point parler, car vous estimant, et Callirée,