que vous luy faites. – Moy, respondis-je, vous estes une mocqueuse de dire que je fasse du mal à une personne, en qui mesme je ne pense pas. – C’est en quoy, me repliqua-t’elle, vous le travaillez le plus, car si vous pensiez souvent en luy, il seroit impossible que vous n’en eussiez pitié.
Je rougis à ce mot, et le changement de couleur fit bien cognoistre à Daphnis, que ces paroles m’offensoient. Cela fut cause qu’en sousriant, elle me dit : Je me mocque, Diane, c’est pour passe-temps ce que j’en dis, et ne croy pas qu’il y pense. Et quant à ce qu’il chantoit, où il a nommé vostre nom, c’est pour certain pour quelqu’autre qui a un mesme nom, ou que pour se desennuyer, il va chantant ces vers, qu’il a appris de quelqu’autre. Nous allasmes discourant de ceste sorte, et si longuement, qu’ennuyées du promenoir nous revinsmes par un autre chemin, au mesme lieu où estoit Filandre ; quant à moy, ce fut par mesgarde, il peut bien estre que Daphnis le fit à dessein. Et nous trouvant si pres de luy, je fus contrainte de le considerer. Auparavant il estoit assis et appuyé contre un arbre ; mais à ce coup nous le trouvasmes couché de son long en terre, un bras sous la teste, et sembloit qu’il veillast, car il avoit devant luy une lettre toute mouillée des pleurs qui luy couloient de long du visage. Mais en effet il dormoit, y ayant apparence que lisant ce papier, le travail du chemin avec ses profonds pensers l’eust peu à peu assoupi ; nous en fusmes encores plus certaines, quand Daphnis, plus asseurée que moy, se baissant lentement, m’apporta la lettre toute mouillée des larmes qui trouvoient passage sous sa paupiere mal close. Ceste veue me toucha de pitié, mais beaucoup plus sa lettre, qui estoit telle :
Lettre de Filandre à Diane
Ceux qui ont l’honneur de vous voir, courent une dangereuse fortune. S’ils vous aiment, ils sont outrecuidez, et