Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/279

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Dieu quelquefois la delivreroit de ce tourment. Et Filandre pour ne perdre le temps, à la premiere occasion qui luy sembla à propos, en parla à Gerestan, luy representant ceste alliance si faisable et si avantageuse, qu’il s’y laissa porter fort aisément. Et parce que Filandre vouloit donner loisir à ses cheveux de croistre, il feignit d’aller donner quelque ordre à ses affaires, et qu’il seroit bien tost de retour. Mais Filidas ne sceut plustost Filandre de retour qu’elle ne l’allast visiter, accompagnée seulement d’Amidor, et n’en voulut partir sans le ramener vers nous, où il demeura sept ou huit jours sans avoir plus de hardiesse de se declarer à moy que la premiere fois.

Durant ce temps, pour monstrer combien il est mal-aisé de forcer longuement le naturel, quoy que Filidas contrefist l’homme tant qu’elle pouvoit, si fut-elle contrainte de ressentir les passions de femme, car les recherches et les merites de Filandre firent l’effet sur elle, qu’il desiroit qu’elles en moy. Mais amour, qui se plaist à rendre les actions des plus advisez toutes contraires à leurs desseins, luy fit faire coup sur ce qu’il visoit le moins.

Ainsi voilà la pauvre Filidas tant hors d’elle-mesme, qu’elle ne pouvoit vivre sans Filandre, et luy faisoit des recherches si apparentes, qu’il en demeuroit tout estonné, et n’eust esté le desir qu’il avoit de pouvoir demeurer pres de moy, il n’eust jamais souffert ceste façon de vivre. En fin quand il jugea que ses cheveux estoient assez longs pour se coiffer, il retourna chez Gerestan, et luy raconta qu’il avoit donné un bon commencement à leur affaire, mais que Daphnis avoit jugé à propos, avant qu’elle en parlast, qu’Amidor veist sa niepce en quelque lieu, afin de sçavoir si elle luy seroit agreable, et que le