Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/280

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meilleur moyen estoit que Callirée l’y conduisit, qu’aussi bien ce seroit un commencement d’amitié qui ne pouvoit que leur profiter.

Gerestan qui ne desiroit rien avec tant de passion, que d’estre deschargé de ceste niepce, trouva ceste proposition fort bonne, et le commanda fort absolument à sa femme, qui pour luy en donner plus de volonté, fit semblant de ne l’approuver beaucoup, pour le commencement, mettant quelque difficulté à son voyage, et monstrant de partir d’aupres de luy à regret, disant qu’elle sçavoit bien que telles affaires ne se manient pas comme l’on veut, ny si promtement que l’on se les propose, et que cependant leurs affaires domestiques n’en iroient pas mieux. Mais Gerestan, qui ne vouloit qu’elle eust autre volonté que la sienne, s’y affectionna de sorte, que trois jours apres il la fit partir avec son frere et sa niepce.

La premiere journée, elle alla coucher chez Filandre, où le matin ils changerent d’habits, qui estoient si bien faits l’un pour l’autre, que ceux mesmes qui les accompagnoient n’y recogneurent rien, et faut que j’advoue, que j’y fus deceue comme les autres, n’y ayant entre eux difference quelconque que je peusse remarquer. Mais j’y pouvois estre bien aisément trompée, puis que Filidas le fut, quoy qu’elle ne veist que par les yeux de l’amour, qu’on dit estre plus penetrans que ceux d’un lynx ; car soudain qu’ils furent arrivez, elle nous laissa la feinte Callirée, je veux dire Filandre, et emmena la vraye dans une autre chambre pour se reposer. Le long du chemin son frere l’avoit instruite de tout ce qu’elle avoit à luy respondre, et mesme l’avoit advertie des recherches qu’elle luy faisoit, qui ressembloient, disoit-il, à celles que les personnes qui aiment ont accoustumé. Dequoy et l’un et l’autre estoit fort scandalizé, et quoy que Callirée fust fort resolue de supporter