Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/299

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vous aime encores ? – Je ne veux pas nier, dit Amidor qu’elle ne m’ait aimé. Et, continua-t’il en sousriant, je ne jurerois pas qu’elle ne m’aime encores ; mais si ferois bien qu’elle n’est point aimée de moy, et que je luy en laisse tout le soucy.

Ce qu’Amidor disoit en cela estoit bien selon son humeur ; car c’estoit sa vanité ordinaire, de vouloir qu’on creust qu’il eust plusieurs bonnes fortunes, et à ceste occasion, il avoit accoustumé de se rendre à dessein si familier de celles qu’il hantoit, que quand il s’en retiroit, il pouvoit presque par ses sousris, et niant froidement, faire croire tout ce qu’il vouloit d’elles. A ce coup Filandre recogneut bien son artifice, et n’eust esté qu’il craignoit de se descouvrir, il se sentit tellement touché de mon offense, que je crois qu’il l’eust repris de mensonge ; si ne peut-il s’empescher de luy respondre assez aigrement : Vrayment, Amidor, vous estes le plus indigne berger, qui vive parmy les bonnes compagnies. Vous avez le courage de parler de ceste sorte de Diane, à qui vous monstrez tant d’amitié, et à qui vous avez tant d’obligation ? Et que pouvons-nous esperer, nous, qui n’approchons en rien ses merites, puis que ny ses perfections, ny son amitié, ny vostre alliance ne vous peuvent attacher la langue ? Quant à moy, j’advoue que vous estes la plus dangereuse personne qui vive, et qui voudra avoir du repos doit tascher de vous esloigner comme une maladie tres-contagieuse.

A ce mot il le quitta, et nous vint retrouver, le visage tant enflammé de colere, que Daphnis cogneut bien qu’il estoit offensé d’Amidor, qui estoit demeuré si estonné de ceste separation, qu’il ne sçavoit ce qu’il avoit à faire. Depuis, le soir, Daphnis s’enquit de Filandre de leur discours, et parce qu’elle m’aimoit, et jugeoit que cela ne pouvoit que beaucoup accroistre l’amitié que je portois à la fainte Callirée, dés