Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

fay, je le sçay, qu’il eust plustost desobey aux grands Dieux qu’à la moindre de vos volontez.

Alors la bergere en colere luy respondit : Laissons ce discours, Lycidas, et croyez moy, qu’il n’est point à l’avantage de vostre frere ; mais s’il m’a trompée, et laissée avec ce desplaisir de n’avoir plustost sceu recognoistre ses tromperies, et finesses, il s’en est allé, certes, avec une belle despouille, et de belles marques de sa perfidie. – Vous me rendez [repliqua Lycidas] le plus estonne du monde : en quoy avez vous recogneu ce que vous lui reprochez ? – Berger, adjousta Astrée, l’histoire en seroit trop longue et trop ennuyeuse. Contentez vous, que si vous ne le sçavez, vous estes seul en ceste ignorance, et qu’en toute ceste riviere de Lignon, il n’y a berger qui ne vous die que Celadon aymoit en mille lieux. Et sans aller plus loing, hier j’ouys de mes oreilles mesmes les discours d’amour qu’il tenoit à son Aminthe, car ainsi la nommoit-il, ausquels je me fusse arrestée plus long temps, n’eust este que sa honte me desplaisoit, et que pour dire le vray, j’avois d’autres affaires ailleurs, qui me pressoient d’avantage.

Lycidas alors comme transporte s’ecria : Je ne demande plus la cause de la mort de mon frere, c’est vostre jalousie, Astrée, et jalousie fondée sur beaucoup de raisons, pour estre cause d’un si grand mal-heur. Helas  ! Celadon, que je voy bien reussir à ceste heure vrayes les propheties de tes soupçons, quand tu disois que ceste feinte te donnoit tant de peine, qu’elle te cousteroit la vie ; mais encore ne cognoissois tu pas de quel costé ce malheur te devoit advenir. Puis s’adressant à la bergere : Est-il croiable, dit-il, Astrée, que ceste maladie ait este si grande qu’elle vous ait fait oublier les commandemens que vous luy avez faits si souvent ? Si seray-je bien tesmoing de cinq ou six fois pour le moins qu’il se mit à genous devant vous, pour vous supplier