Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/366

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le commandement de Valentinian, il est aisé à croire qu’il l’eust fait, pour avoir toutes les forces de l’Empire entre ses mains ; mais l’Empereur se voyant un grand nombre d’ennemis sur les bras, comme Gots, Huns, Wandales, et Francs, qui tous l’attaquoient en divers lieux, commanda à Ætius de les laisser en paix : ce qui ne fust pas si tost, que desja les Bourguignons n’eussent receu de grandes routes, et telles que toutes leurs provinces et celles qui leur estoient voisines, s’en ressentirent, ayans leurs ennemis fait le dégast avec tant de cruauté, que tout ce qu’ils trouvoient, ils l’emmenoient.

Or moy, pour lors, qui pouvois avoir cinq ou six ans, fus comme plusieurs autres emmené en la derniere ville des Allobroges, par quelques Bourguignons, qui pour se venger, estans entrez dans les pays confederez à leurs ennemis, y firent les mesmes desordres qu’ils recevoient. De pouvoir dire quelle estoit l’intention de ceux qui me prindrent, je ne le sçaurois, si ce n’estoit pour en avoir quelque somme d’argent. Tant y a que la fortune me fut si bonne, apres m’avoir esté tant ennemie, que je tombay entre les mains d’un Helvetien, qui avoit un pere fort vieux, et tres homme de bien, et qui prenant quelque bonne opinion de moy, tant pour ma physionomie, que pour quelque agreable response qu’en cet aage je luy a vois rendue, me retira pres de luy, en intention de me faire estudier. Et de fait, quoy que son fils y contrariast en tout ce qu’il luy estoit possible, si ne laissa-t-il de suivre son premier dessein, et ainsi n’espargna rien pour me faire instruire en toute sorte de doctrine, m’envoyant aux Universitez des Massiliens en la province des Romains. Si bien que je pouvois dire avec beaucoup de raison, que j’estois perdu, si je n’eusse esté perdu. Toutesfois quoy que, selon mon genie, il n’y eust