Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/379

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pour ce au moins que vous estes le premier qui m’a aimée.

De fortune, au mesme temps qu’ils parloient ainsi, Lycidas survint, de qui la jalousie estoit tellement accreue, qu’elle surpassoit desja son affection, et pour son mal-heur il arriva si mal à propos, qu’il peut ouyr la response que Hylas fit à Phillis, qui fut telle : Je ne sçay pas, belle bergere, si vous continuerez comme vous avez commencé avec moy, mais si cela est, vous serez peu veritable, car je sçay bien pour le moins que Silvandre m’aydera à vous desmentir, et s’il ne le veut faire pour ne vous desplaire, je m’asseure que tous ceux qui vous virent hier ensemble, tesmoignerent que Silvandre estoit vostre serviteur. Je ne sçay pas s’il a laissé son amitié dessous le chevet, tant y a que si cela n’est, vous estes sa maistresse.

Silvandre qui ne pensoit point aux amours de Lycidas, croyant qu’il luy seroit fort honteux de desavouer Hylas, et qu’outre cela il offenseroit Phillis, de dire autrement devant elle, respondit : II ne faut point, berger, que vous cherchiez autre tesmoin que moy pour ce sujet, et ne devez croire que les bergers de Lignon se puissent vestir et devestir si promptement de leurs affections, car ils sont grossiers, et pource tardifs et lents à tout ce qu’ils font. Mais tout ainsi que plus un clou est gros, et plus il supporte de pesanteur et est plus difficile à arracher, aussi plus nous sommes difficiles et grossiers en nos affections, plus aussi durent-elles en nos ames. De sorte que si vous m’avez veu serviteur de cette belle bergere, vous me voyez encor tel, car nous ne changeons pas à toutes les fois que nous dormons. Que si cela vous advient, à vous, dis-je, qui avez le cerveau chaud, ainsi que vostre teste chauve, et vostre poil ardant le monstrent, il ne faut que vous fassiez mesme jugement de nous.

Hylas oyant parler ce berger si franchement, et si au