Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/401

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belle, ny si agreable que Stilliane, est-ce moy qui en suis coupable ? qu’elle s’en plaigne à ceux qui l’ont faitte avec moins de perfection. Et pour moy, qu’y puis-je contribuer, que de regretter et plaindre avec elle sa pauvreté ? mais cela ne me doit pas empescher d’adorer et desirer la richesse d’autruy . Avec samblables raisons, j’essayois de chasser la compassion que Carlis me faisoit, et ne croyant plus avoir rien à faire que de recevoir Stilliane, qui me sembloit estre desja toute à moy, je priay Hermante de luy porter une lettre de ma part, et ensemble luy faire voir la copie de celle que j’avois escrite à Carlis, afin qu’elle ne fust plus en doute d’elle. Luy qui estoit veritablement mon amy en tout ce qui ne touchoit point à Carlis, n’en fit difficulté. Et prenant le temps à propos qu’elle estoit seule en son logis, en luy presentant mes lettres, il luy dit en sousriant : belle Stilliane, si le feu brusle l’imprudent qui s’en approche trop, si le soleil esblouit celuy qui l’ose regarder à plein, et si le fer donne la mort à celuy qui le reçoit dans le cœur, vous ne devez vous estonner si le miserable Hylas, s’approchant trop de vous s’est bruslé, si vous osant regarder il s’est esblouy, et si recevant le trait fatal de vos yeux, il en ressent la blesseure mortelle dans le cœur.

Il vouloit continuer, mais elle, toute impatiente, l’interrompit : Cessez, hermante, vous travaillez en vain, ny Hylas n’a point assez de merite, ny vous assez de persuasion, pour me donner la volonté de changer mon contentement au sien ; ny je ne me veux point tant de mal, ny à Helas tant de bien, que je consente à mon mal-heur, pour croire à vos paroles. Il me suffit, Hermante, que l’humeur de Hylas m’est cogneue auy despens d’autruy, sans qu’aux miens je l’espreuve. et ce vous doit estre assez que Carlis ait esté si laschement trompée, sans que vous serviez encor d’instrument