pour la ruine de quelqu’autre. Si vous aimez Hylas, j’aime beaucoup plus Stilliane, et si vous luy voulez donner un conseil d’amy, conseillez-le comme je la conseille, c’est qu’elle n’aime jamais Hylas : dites luy aussi qu’il n’aime jamais Stilliane. Et s’il ne vous croit, soyez certain qu’à sa confusion il emploiera son temps vainement. Et quant à la lettre que vous me presentez, je ne feray point de difficulté de la prendre, ayant de si bonnes deffenses contre ses armes, que je n’en redoute point les coups.
A ce mot, despliant ma lettre, elle la leut tout haut : ce n’estoit en fin qu’une asseurance de mon affection, par le congé que j’avois donné à Carlis à sa consideration, et une tres-humble supplication de me vouloir aimer. Elle sousrit après l’avoir leue, et s’addressant à Hermante, luy demanda s’il vouloit qu’elle me fist response, et luy ayant respondu qu’il le desiroit passionnément, elle luy dit qu’il eust un peu patience, et qu’elle l’alloit escrire. elle estoit telle :
Response de Stilliane à Hylas
Hylas, voyez combien sont mal fondez vos desseins : vous voulez que pour la consideration de Carlis je vous aime, et il n’a y rien qui me convie tant à vous hayr que la memoire que j’ay de Carlis. Vous dites que vous m’aimez : si quelqu’autre plus veritable que vous me le disoit, je le pourrois peut-estre croire, car je cognois bien que je le merite ; mais moy qui ne mens jamais, je vous asseure que je ne vous aime point, et pource n’en doutez nullement : aussi seroit-ce avoir bien peu de jugement d’aimer une humeur si mesprisable. Si vous trouvez ces paroles un peu trop rudes, ressouvenez-vous, Hylas, que j’y suis contrainte, afin que vous ne vous persuadiez pas d’estre aimé de moy. Carlis m’est tesmoin de la condition de Hylas, et Hylas le sera de la mienne, si pour