Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/528

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beaucoup de joye et de crainte : de joye, pour ne pouvoir penser rien de plus avantageux pour luy que l’honneur de ses commandements, et de crainte, pour ne sçavoir de quoy elle le menaçoit ; que toutesfois la mort mesme ne luy sçauroit estre desagreable si elle luy venoit par son commandement.

Bellinde alors continua : Puis qu’outre ce que vous me dites à cette heure, vous m’avez tousjours rendu tant de tesmoignages de cette asseurance que vous me donnez, que je n’en puis avec raison douter aucunement, je ne feray point d’autre difficulté non pas de prier, mais de conjurer Celion par toute l’amitié dont il favorise sa Bellinde de luy obeir ceste fois. Je ne veux pas luy commander chose impossible, ny moins le distraire de l’affection qu’il me porte ; au contraire, je veux, s’il se peut, qu’il augmente tousjours d’avantage. Mais avant que passer plus outre, que je sçache vous supplie, si jamais vostre amitié a point esté d’autre qualité qu’elle est à ceste heure.

Alors Celion, monstrant un visage moins fasché que celuy qu’auparavant la doute le contraignoit d’avoir, respondit qu’il commençoit de bien esperer, ayant receu de telles asseurances ; que pour satisfaire à sa demande, il advoutoit qu’autrefois il l’avoit aimée avec les mesmes affections et passions, et avec les mesmes desseins que la jeunesse a de coustume de produire dans les cœurs les plus transportez d’amour, et qu’en cela il n’en exceptoit une seule ; que depuis, son commandement avoit tant eu de puissance sur luy qu’il avoit obtenu cela sur sa passion, que sa sincere amitié surmontoit de tant son amour qu’il ne croiroit point offenser une sœur de l’aimer avec ce dessein. – Sur ma foy, mon frere, repliqua la bergere, car pour tel vous veux-je tenir le reste de ma vie, vous m’obligez tant de vivre ainsi avec moy, que jamais