Aller au contenu

Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/529

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nulle de vos actions n’acquit d’avantage sur mon ame que celle cy. Mais je ne puis vous voir en peine plus longuement : sçachez donc que ce que je veux de vous est seulement que, conservant inviolable ceste belle amitié que vous me portez à ceste heure, vous mettiez l’amour en une des belles bergeres de nostre Lignon. Vous direz que cet office est estrange pour Bellinde ; toutesfois, si vous considerez que celle dont je vous parle, vous veut pour mary, et que c’est apres vous la personne que j’ayme le plus, car c’est Amaranthe, je m’asseure que vous ne vous en estonnerez pas. Elle m’en a prié, et moy je le vous commande par tout le pouvoir que j’aye sur vous. Elle se hasta de luy faire ce commandement, craignant que si elle retardoit d’avantage, elle n’eust pas assez de pouvoir pour resister aux supplications qu’elle prevoyoit.

Quel croyez-vous, belle nymphe, que devint le pauvre Celion ? Il demeura pasle comme un mort, et tellement hors de soy qu’il ne peut de quelque temps proferer une seule parole. En fin, quand il peut parler, avec une voix telle que pouvoit avoir une personne au milieu du supplice, il s’escria : Ah ! cruelle Bellinde, aviez-vous conservé ma vie jusques icy pour me le ravir avec tant d’inhumanité ? Ce commandemant est trop cruel pour me laisser vivre et mon affection trop grande pour me laisser mourir sans desespoir. Helas ! permettez que je meure, mais que je meure fidele. Que s’il n’y a moyen de guerir Amaranthe que par ma mort, je me sacrifieray fort librement à sa santé ; l’eschange de ce commandement ne me sera moindre tesmoignage d’estre aimé de vous, que quoy que vous puissiez jamais faire pour moy.

Bellinde fut esmeue, mains non pas changée. Celion, luy dit-elle, laissons toutes ces vaines paroles, vous me donnerez peu d’occasion