Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/540

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qui parmy tant de fureur luy estoit encores restée, luy faisoit craindre d’offenser Bellinde, à qui toutesfois, transporté de passion, il escrivoit bien souvent des lettres si pleines d’amour, et de reproches, que mal-aisément les pouvoit-elle lire sans larme ; entre autre il luy en envoya une telle :

Lettre de Celion a Bellinde en son transport

Faut-il donc, inconstante bergere, que ma peine survive mon affection ? Faut-il que, sans vous aymer,j’aye tant de peine pour vous sçavoir entre les mains d’un autre ? N’est-ce point que les dieux me vueillent punir pour vous avoir plus aymée que je ne devois ? ou plustost m’est-ce point que je me figure de ne vous aymer plus, et que toutesfois, j’aye plus d’amour pour vous que je n’eus jamais ? Toutesfois, pourquoy vous aymerais-je, puis que vous estes, et ne pouvez estre à autre qu’à iune personne que je n’ayme point ? Mais au contraire, pourquoy ne vous aymerois-je point,puis que je vjous ay tant aymée ? Il est vray, mais je ne vous dois point aymer ; car vous estes ingrate, une ame toute d’oubly, et qui n’a nul ressentiment d’amour. Toutesfois, quelle que vous soyez, si estes-vous Bellinde, et Bellinde peut-elle estre sans que Celion l’ayme ? Vous ayme-je donc ou si le ne vous ayme point ? Jugez-en vous mesme, bergere, car quant à moy, j’ay I’esprit si troublé, que je n’en puis discerner autre chose sinon que je suis la personne du monde la plus affligée.

Et au bas de la lettre, il y avoit ces vers.

Stances


Je ne puis excuser ceste extreme inonstance,
Qui vous a fait si mal changer d’affection :
Changer de bien en mieux, je l’appelle prudence,
Mais de changer en pis, peu de discretion.